MARTIN ALARIE / JOURNAL DE MONTREAL

COVID : comment une réserve autochtone se protège

Par Karolane Ducharme

Comment la communauté des Mohawks de Kanesatake se protège-t-elle de la pandémie ?  

Plusieurs semaines se sont écoulées depuis l’ouverture des barrages routiers imposés par les Mohawks pour bloquer l’arrivée des touristes. Nombreux sont les articles qui relatent l’actualité des grandes métropoles du Québec mais peu d’articles abordent le sujet des territoires autochtones. Les communautés des Premières Nations ne possèdent pas, ou presque peu, de ressources provinciales, elles doivent eux mêmes s’organiser pour contrer l’épidémie planétaire.

Selon un récent sondage du gouvernement fédéral, les Premières Nations du Québec ont le plus bas taux de nombre de cas par région, soit 47 personnes infectées et de cinq décès. 

« Notre succès, on le doit grâce à nos efforts pour protéger notre région ! Mais depuis que l’économie a été relancée en juin, des milliers de personnes entrent sur notre territoire et on n’a pas le choix de laisser aller la situation », lance le grand chef du Conseil Mohawk de Kanesatake, Serge Otsi Simon ( Entretien téléphonique, 23 septembre 2020).

PHOTO: Ivanoh Demers/Radio-Canada
Le grand chef Serge Osti Simon et le maire d’Oka Pascal Quevillion

Quelle a été la réaction de la communauté lorsque le virus a débarqué en Amérique du Nord ? 

Les Premières Nations connaissent depuis l’arrivée des premiers Européens les ravages d’une pandémie ( syphilis, peste, tuberculose, etc.). Dans la partie ouest des États-Unis, le taux de mortalité est des plus importants comparativement aux populations canadiennes. La Nation navajo compte 548 morts, les Apaches d’Arizona, 58 morts, ainsi que la nation Choctaw du Mississippi a maintenant 78 morts. Au Canada, 11 décès ont été déclarés.

«La plus grande cause de décès chez les Premières Nations n’est pas la guerre, mais l’arrivée de la maladie. Nous n’avons jamais perdu autant d’hommes depuis! Même la guerre n’a pas été aussi fatale », déclare le grand chef du Consul Mohawk.  

Alors que la pandémie pointait tranquillement le bout de son nez en février, le Consul Mohawk déclarait l’état d’urgence en établissant aussitôt un comité de sécurité. 

« On ne devait pas niaiser avec ça !», confie Serge Otsi Simon. 

À ce jour, le territoire Mohawk a recensé neuf cas. Le grand chef mentionne que la première personne a avoir été testée positif à la COVID-19 était un homme qui allait rendre une visite surprise à sa mère qui avait eu un AVC. L’homme aurait eu la maladie sans avoir de symptômes. Aucun décès n’a été enregistré concernant la maladie, mais tout porte à croire que la communauté n’est pas à l’abri. Selon Serge Otsi Simon, 50 % de la population a des problèmes de santé dont plusieurs souffrent de diabète.  Le fait de vivre avec le diabète augmente potentiellement les risques de développer des symptômes sévères et des complications si la COVID-19 est contractée. Les complications les plus communes sont la pneumonie et la détresse respiratoire aigüe.  

PHOTO: Karolane Ducharme

Quelles ont été les mesures de prévention pour ne pas que le virus se propage ? 

Plusieurs mesures ont été mises en place pour préserver le territoire mohawk. Parmi celles-ci, on retrouve des mesures d’hygiène stricts et des barrages routiers. Un comité de sécurité a été mis en place pour gérer les ressources et les travaux publics. Le grand chef aurait bénéficié d’un montant de 530 000 dollars provenant d’un fonds gouvernemental fédéral, suite à sa demande. Ce montant a servi, entre autres, à équiper la communauté des vestes d’identification, de masques et à la création d’une banque alimentaire. Selon Serge Osti Simon, la demande à l’accès à des désinfectants pour les mains a été quelque chose de « difficile à avoir ». Des bouteilles de désinfectant à l’entrée et à l’extérieur des établissements de la communauté sont clairement visibles.

De plus, les aînés et les familles à faible revenu ont pu bénéficier de deux repas offerts par le Consul Mohawk et d’une épicerie hebdomadaire.  

Pour les personnes présentant les symptômes reliés au COVID-19, le Consul Mohawk loue deux appartements. Ainsi, les malades peuvent faire leur quarantaine plus aisément.  

« Depuis que nous avons réouvert les accès à notre territoire, nous avons 12 personnes dans le secteur d’Oka qui ont été testés positifs dont neuf provenant de notre communauté », explique le grand chef du Consul Mohawk. 

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir

Est-ce que les mesures appliquées ont satisfait la population ?  

Certains autochtones n’ont pas réellement été satisfaits des mesures entreprises par le Consul Mohawk.   

« C’était O.K de faire cesser l’économie sur notre territoire. On comprend parfaitement la motivation de notre Consul. Ce que je déplore par contre de cette situation, c’est que l’argent [provenant du Gouvernement fédéral] a vraiment été mal réparti », affirme Robert  Thanhohorens, propriétaire d’un magasin de cannabis sur le rang Sainte-Philomène. Celui-ci doute que tout l’argent n’ait pas encore été dépensé pour la pandémie et croit même que le Consul ne puisse se mettre quelques dollars de trop en poche. Le propriétaire affirme ne pas avoir vu la banque alimentaire. Pour lui, la situation précaire financière de certains membres de la communauté doit être prise en compte par les membres de leur famille respective.  

Par ailleurs, les résidents du quartier de Pointe-aux-Anglais et du village Oka, dont Louis Bélanger, affirment que les décisions menées par la communauté iroquoise ne les ont pas dérangés. Certains ont même apprécié que des barrages aient été faits dans leurs quartiers.  

Pour le Grand chef Serge Otsi Simon, la présence d’agents de la Sécurité du Québec était gênante pour le bon déroulement de la protection du territoire. Il les décrit même comme étant des gens « incompétents ».   

PHOTO: Karolane Ducharme

Est-ce que la communauté s’est sentie réellement protégée? 

Les 52 points de contrôle effectués sur la route 344 bloquent un certain accès aux résidents des quartiers voisins, dont Pointe-aux-Anglais et Oka. 

Selon Olivier Godin-Héeu, résident du village d’Oka, ces barrages ont également servi à protéger les habitants d’Oka. « J’ai aimé que les Indiens puissent mettre leurs barrages plus loin qu’à la frontière de leur territoire puisque cela nous permettait aussi de nous sentir en sécurité.»

« Cette décision, je l’ai prise pour le bien de ma région. Nous vivons tous cette situation ensemble, nous nous côtoyons tous les jours et il est de bon devoir de nous protéger. Si un villageois tombe malade, il y a de fortes chances que le virus vient à nous », ajoute le grand chef Serge Otsi Simon. 

Selon ce dernier, la contamination a dégringolé depuis que le Parc national d’Oka a ouvert ses portes en juin dernier. 

PHOTO: Karolane Ducharme

Est-ce qu’il y a eu des tensions auprès des villes voisines ? 

« En général, la cohabitation se fait bien », déclare Olivier Godin-Héeu. Même si les habitants mentionnent que la relation se passe avec succès, les actions et réactions du maire d’Oka, Pascal Quevillion, font beaucoup parler. Selon le jeune homme de 19 ans, le maire aurait tenté à plusieurs reprises d’entrer en collision avec des autochtones qui se promenaient à pied.  

« En plus d’avoir essayé volontairement de frapper mes habitants en véhicule, il leur faisait des fingers [doigt d’honneur]» ajoute Serge Otsi Simon. Le problème entre les deux territoires, c’est qu’il y a des cas isolés de racisme. Le chef ajoute même qu’un des résidents, un médecin, aurait frappé volontairement une personne de sa communauté iroquoise.  

PHOTO: Karolane Ducharme

Est-ce que les commerces autochtones ont vraiment été pénalisés lors de la pandémie? 

Pour le propriétaire Robert Thanhohorens, cela ne l’a pas dérangé que sa boutique puisse fermer temporairement. Il affirme avoir mis de côté de l’argent avant la pandémie. Il admet cependant que ce n’a pas été le cas pour tous les autres commerces de sa communauté. 

Selon le Grand chef du Consul Mohawk, la situation entourant le commerce de cannabis a suscité beaucoup de bavardages sur les réseaux sociaux. 

« Pendant les quatre mois où nous avions fermé la frontière, certaines boutiques incitaient les gens à venir acheter leurs produits. En une demi-journée, nous avions viré de bord près de 5 000 véhicules. Ils provenaient tous des grandes villes comme Montréal et Laval, les villes les plus contaminées », admet le grand chef. 

Maintenant que l’économie a repris dans toute la province, les habitants d’Oka et de Kanesatake continuent de fournir les efforts nécessaires pour se tenir à l’écart du virus. 

PHOTO: Karolane Ducharme

Sources : 

https://www.sac-isc.gc.ca/fra/1581964230816/1581964277298

https://www.diabete.qc.ca/fr/actualites/nouvelles/covid-19-les-risques-pour-les-personnes-vivant-avec-le-diabete/#:~:text=Le%20fait%20de%20vivre%20avec,et%20la%20d%C3%A9tresse%20respiratoire%20aig%C3%BCe.

https://www.sepaq.com/pq/oka/information.dot?language_id=2

https://www.journaldemontreal.com/2020/04/17/oka-sera-fermee-aux-touristes-grace-aux-mohawks

https://www.aisc.ucla.edu/progression_charts.aspx

https://www.azcentral.com/story/news/local/arizona-breaking/2020/04/27/first-covid-19-death-announced-white-mountain-apache-tribe/3033553001/

https://indiancountrytoday.com/news/more-mississippi-choctaws-have-died-of-covid-than-those-who-died-of-the-disease-in-hawaii-or-alaska-or-wyoming-xOVQoh5j10q0muqZ3vpNzg

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