Pourquoi y a-t-il eu un mur?
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne s’est vu être divisée en deux. À l’ouest se trouvait la République fédérale d’Allemagne (RFA), le côté capitaliste, divisé en trois différentes zones partagées avec trois des vainqueurs, soit l’Américaine, la Britannique et la Française. À l’est était située la République démocratique allemande (RDA), où régnaient le communisme et un gouvernement sous l’influence de Moscou. La capitale de l’Ouest deviendra Bonn et Berlin, elle aussi divisée, sera celle de l’Est.
Érigé en pleine guerre froide dans la nuit du 12 au 13 aout 1961, le gouvernement est-allemand n’a qu’un but en tête : mettre fin à l’exode croissant de ses habitants vers la RFA. Le mur séparera donc physiquement la ville en Berlin-Est et Berlin-Ouest pendant plus de vingt-huit ans, et constitue, encore aujourd’hui, le symbole le plus marquant d’une Europe divisée.
Le Berliner Mauer était, à l’époque, surnommé le « mur de la honte » à l’ouest et le « mur de protection antifasciste » à l’est. Cet important dispositif militaire complexe de 43 km de long comportait deux murs de 3,6 m de haut, 302 miradors et dispositifs d’alarme, 14 000 gardes, 600 chiens et des barbelés dressés vers le ciel. Les gardes-frontière est-allemands et les soldats soviétiques n’hésitaient pas à tirer sur les fugitifs.
En tout, 136 personnes auront perdu la vie entre 1961 et 1989: 98 Allemands de l’Est, 30 personnes de l’Est comme de l’Ouest par accident et 8 gardes-frontières est-allemands.
Jean-Michel Clermont-Goulet
Comment en sommes-nous arrivés à sa chute?
Avant d’en arriver à la soirée historique et lourde d’émotion du 9 novembre 1989, plusieurs manifestations populaires ont eu lieu dans les semaines et les mois précédents. Des millions d’Est-Allemands ont entre autres protesté contre l’immobilisme du régime communiste installé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et ont réclamé le droit de passer librement à l’Ouest.
« Ils ne voulaient pas nécessairement une réunification, confie le consul général d’Allemagne à Montréal, Robert Strnadl, mais ils voulaient simplement voyager librement. » (Entrevue en personne, octobre 2019)
Le soir du 9 novembre, une conférence de presse diffusée en direct à la télévision d’État est tenue par Günter Schabowski, le secrétaire du Comité central chargé des médias en Allemagne de l’Est. Lors de cette conférence, Schabowski précise que les Est-Allemands pourront voyager sans motifs et où bon leur semble. Un journaliste lui demande alors à partir de quand cette mesure s’appliquera-t-elle. Le secrétaire répond, en cherchant dans ses notes, « immédiatement ».
Des milliers d’Est-Berlinois franchissent alors le Mur, à pied ou en voiture, et une grande fête spontanée se met en branle, alors que de nombreux habitants de Berlin-Ouest escaladent le Mur et se massent autour de la porte de Brandebourg.
Bien au-delà du bagage symbolique de cet évènement, la chute du Mur ouvre la voie à la réunification des deux Allemagne et, du même coup, à l’effondrement du communisme en Europe. En mai 1990, la signature d’un premier traité prévoyant l’unification nationale est officialisée le 3 octobre de la même année et Berlin redevient la capitale de ce jeune pays qui, ce mois-ci, souffle sa trentième bougie.
Jean-Michel Clermont-Goulet
Que reste-t-il de ce mur?
Les touristes iront à Berlin et visiteront Checkpoint Charlie, se prendront en photo devant la East Side Gallery, cette galerie à ciel ouvert à même le 1,3 km de mur gardé, ou s’achèteront un morceau de béton présenté comme étant un véritable morceau du Mauer, pouvant se chiffrer entre cinq et des milliers d’Euros. Une chose est sûre, ils n’auront jamais accès aux vrais souvenirs.
De près ou de loin, ce mur aura divisé une nation en deux et en aura marqué plus d’un, que cette personne ait grandi à l’ouest, à l’est, au nord ou au sud de l’Allemagne. La réalisatrice franco-allemande Catherine Veaux-Logeat le dit, « le Mur n’est peut-être plus là physiquement, mais mentalement » il y est toujours. (entrevue en personne, 13 novembre)
Dans un rapport annuel sur l’état de la réunification publié plus tôt cette année, le commissaire aux affaires est-allemandes affirme que 57 % des Allemands de l’Est se considèrent comme des « citoyens de seconde zone », tandis que seulement 38 % perçoivent la réunification comme un succès. Chez les moins de 40 ans, le chiffre est de 20 %.
« J’ai toujours senti que ma mère avait une réticence, une espèce de culpabilité allemande et lorsqu’elle est venue au Québec, j’ai senti qu’elle ne voulait pas vraiment que l’on parle trop de l’Allemagne et qu’on soit trop allemand », raconte celle qui est derrière la réalisation d’un documentaire sur ses origines allemandes, Entre mer et mur.
Le film raconte l’histoire de deux cousins, l’un ayant vécu toute sa vie à l’Est et l’autre ayant laissé sa vie pour vivre en mer, à l’Ouest. Elle affirme aussi que la vision du Mur de Berlin diffère selon la situation géopolitique que l’on occupe. « Nous voyons l’histoire d’une certaine façon. Dans mon cas, je vois peut-être mon histoire de manière occidentale, canadienne, française. Ma mère, elle, le voit comme celle qui a choisi l’exil et qui voulait s’éloigner de cette histoire. »
Britta Starcke se souvient du 9 novembre 1989 comme si c’était hier. Celle qui est maître de langue en allemand à l’École des langues de l’Université du Québec à Montréal le raconte encore avec émotion et trémolo dans la voix. Vivant en banlieue d’Hambourg, à l’Ouest et n’ayant jamais connu sa famille maternelle, à l’Est, elle confie que ce tournant de l’histoire la marquera à jamais en tant qu’Allemande.
« J’avais 14 ou 15 ans et mon père me tapait sur les cuisses en criant “Britta, Britta ! Die Mauer ist offen ! Die Mauer ist offen” et j’ai répondu “c’est impossible”, dit-elle. Mon père était tellement ému. Lorsque j’y pense, cette soirée est probablement la plus heureuse et la plus intense dans ma vie, à part la naissance de mon fils et mon mariage. » (entrevue en personne, octobre 2019)
Jean-Michel Clermont-Goulet
Pourquoi existe-t-il un intérêt si élevé pour l’Allemagne de l’Est ?
Cet intérêt est aussi fort chez les touristes internationaux que chez les Allemands, spécialement de l’Est. Un mot pourrait d’écrire cette nostalgie : « Ostalgie », une contraction entre ost, ou « est » en allemand, et de nostalgie. Ce néologisme désigne la nostalgie ressentie à l’égard de la RDA après la dissolution de l’URSS. Pour les touristes, il est possible de vivre dans un hôtel « typique » de l’est pour finir au DDR Museum, consacré entièrement au mode de vie de l’époque communiste.
Vanessa Lemke, porte-parole du DDR Museum, ne le cache pas, l’intérêt pour l’Allemagne de l’Est et la RDA s’explique par la disparition soudaine de cet État. « Il s’agit quand même de quelque chose de spécial, considérant que le pays s’est dissous en moins de 11 mois, dit-elle. L’aspect socialiste est aussi l’une des raisons, car, en Europe, le socialisme n’existe plus, du moins comme structure étatique. » (Entrevue en personne, 8 novembre)
Le musée, ouvert en 2006, accueille en moyenne plus de 500 000 visiteurs chaque année. Malgré le thème, il est « difficile de rejoindre » les Est-Allemands. « Ils se disent “J’ai vécu cette vie, pourquoi voudrais-je la revoir dans un musée ?”. En venant, ils se remémorent des moments qu’ils avaient peut-être oubliés. »
Jean-Michel Clermont-Goulet
De quelle façon la jeune génération d’Allemands voit-elle le Mur ?
Lors des célébrations du 30e anniversaire de la chute du Mur, jeunes et moins jeunes s’étaient rassemblés devant la porte de Brandebourg pour fêter l’unité allemande.
Lena a 32 ans et n’a pas connu le Mur, mais a tout de même fêté son pays. Originaire de la Basse-Saxe, à l’ouest du pays, elle affirme que ce sont ses parents qui lui ont d’abord parlé de cette partie de leur histoire nationale.
« Je ne peux pas vraiment imaginer une Allemagne divisée en deux, dit-elle d’emblée, précisant que l’enseignement des évènements est “venu sur le tard” dans le cursus scolaire. Je me dis qu’on aurait dû en savoir davantage sur l’URSS. On nous a amplement parlé de la Révolution française et des rois et des reines d’Angleterre. » (Entrevue en personne, 9 novembre)
Pour sa part, la porte-parole du DDR Museum avoue être soulagée qu’il n’y ait plus de Mur. « C’est important de le garder et de célébrer notre passé. Les gens ont souvent tendance à mettre de côté leur passé, dit la femme de 28 ans. Nous avons quand même connu deux dictatures, deux guerres mondiales et 41 années de communisme au 20e siècle. »
Jean-Michel Clermont-Goulet
Comment la « vieille » génération perçoit-elle sa relève?
Pour le consul adjoint d’Allemagne à Montréal, Robert Strnadl, la relève allemande, la jeunesse, pourrait être décrite en deux mots : « libre et prospère ».
Rita Paulmann, 65 ans, se dit fière que la relève allemande soit plus « politisée » que la génération d’avant. « [Les jeunes] pensent au futur, ont une conscience de leur entourage et de leur avenir et je crois que c’est grâce à la jeune Suédoise Greta Thunberg. » (Entretien en personne, 9 novembre)
La veille, des centaines de jeunes s’étaient déplacés dans les rues pour pousser le gouvernement d’Angela Merkel a agir pour l’environnement, marchant dans les rues en scandant tous en cœur des slogans pacifistes dans le cadre du mouvement Friday For Future.
Selon Catherine Veaux-Logeat, les jeunes auront tendance à oublier cette partie de leur histoire. « Les plus jeunes vivent dans une optique de “Bon, nous, on sait, il y a un mur qui passait là, mais on peut-tu passer à autre chose ?” Il y a un peu une sorte d’ignorance, ou un oubli, dit-elle. Alors maintenant, est-ce qu’on oublie ou on se souvient du Mur ? C’est la question. »
https://www.universalis.fr/encyclopedie/chute-du-mur-de-berlin/