Qu’est-ce que les VFX ?
Apple lançait à la fin du mois d’octobre sa nouvelle plateforme de visionnement en continu, Apple TV+, créant un émoi au sein des géants américains du même type. Avec la forte compétition entre les multiples entreprises, comme Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou CraveTV, l’univers du cinéma et de la télévision n’aura jamais vu une rivalité aussi féroce en matière d’effets visuels. Certaines compagnies vont jusqu’à offrir du contenu original qui comporte ce type de travail en postproduction, comme les séries populaires Stranger Things, The Walking Dead et Jack Ryan.
VFX est l’abréviation de visual (V) effects (FX), soit effets visuels en français. Dans le monde cinématographique, les effets visuels sont des processus par lesquels une image est créée ou modifiée numériquement, en dehors du contexte d’une prise de vue réelle. Rappelons que les effets spéciaux existaient bien avant l’invention du numérique, mais ceux-ci étaient produits « à la main ». Georges Méliès, réalisateur et illusionniste français né en 1861, réalisera des films comme Le Voyage sur la lune en 1902 où, déjà, des effets de trucages étaient présents.
Les effets visuels reproduisent virtuellement des environnements qui seraient trop dangereux, très coûteux ou difficiles, voire impossibles à tourner. Le Québécois Daniel Langlois a d’ailleurs créé en 1988 le logiciel d’imagerie Softimage qui a révolutionné l’industrie, mentionne le réalisateur et conférencier Éric Falardeau. (Entrevue téléphonique, le 3 novembre)
Jean-Michel Clermont-Goulet
Comment se porte l’industrie des VFX à Montréal ?
Depuis la dernière décennie, si l’industrie des jeux vidéo a pris une place majeure dans la métropole, il en est de même pour celle des effets visuels. « Le grand moment qui a mis le Québec sur la mappe, c’est en 1993 lorsque Steven Spielberg a utilisé une partie du logiciel de Softimage qui avait été développé par Daniel Langlois pour le film Jurassic Park », mentionne Éric Falardeau qui a publié en 2017 un livre sur l’histoire des effets spéciaux au Québec.
De ce fait, Montréal est vite devenue populaire auprès des studios internationaux, faisant d’elle la troisième ville en Amérique du Nord dans la production de jeux vidéo après, notamment, San Francisco et le quatrième pôle mondial de compétence en animation et effets visuels après le Royaume-Uni, la Californie et la Colombie-Britannique, selon le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ). De très nombreux studios d’effets visuels et d’animation québécois reconnus internationalement se retrouvent dans la métropole, comme Rodeo FX, Alchemy 24, Folks VFX et Squeeze. Depuis 2013, plusieurs géants étrangers en VFX ont établi une antenne à Montréal, comme les entreprises britanniques Framestore et Cinesite, la Française MPC, ou l’Allemande Scanline VFX.
Selon la chargée de projet du BCTQ, Anne Fossier, il faut s’attendre à ce que le nombre de studios qui s’installent à Montréal soit revu à la hausse. « Ça se poursuivra encore pour quelques années », mentionne-t-elle. (Entrevue téléphonique, le 1er novembre) Elle précise que le volume de contrat au Québec a atteint les 493 millions $, en 2018. « Auparavant, il s’agissait d’une hausse de 27 %, mais entre 2017 et 2018, il a plutôt été question de 88 %. »
Jean-Michel Clermont-Goulet
Qu’est-ce qui attire les grands studios internationaux ?
Il y a plusieurs facteurs qui font en sorte que certains studios optent pour Montréal, d’après Anne Fossier. Elle mentionne « le talent d’ici, évidemment, la créativité des gens et la qualité de la vie à Montréal qui est, apparemment, très appréciée par les boîtes d’ailleurs », mais également l’instauration des crédits d’impôt remboursables pour des services de production cinématographique.
Éric Falardeau abonde dans ce sens et affirme que l’industrie des effets visuels québécoise doit beaucoup à l’État qui au fil du temps, a démontré une « volonté politique et économique de développer le secteur ». Selon lui, « le nerf de la gère, c’est la question financière » et la création de crédits d’impôt a permis à la métropole de conserver sa position favorable.
Jean-Michel Clermont-Goulet
Qu’en est-il des VFX en télévision?
L’industrie des effets visuels pour les séries destinées aux écrans multiplateformes, c’est-à-dire les téléphones cellulaires ou même les ordinateurs, connaît actuellement un boom, notamment avec l’augmentation de ces types de plateformes. Par contre, cet accroissement ne se fait pas ressentir dans les séries québécoises.
« La majorité de nos compagnies au Québec ne travaille pas vraiment pour des productions québécoises, mais pour des productions étrangères, surtout américaines », explique Éric Falardeau en précisant qu’il y a tout de même quelques séries d’ici qui font l’usage d’effets visuels qui sont visibles à l’écran. Le tout serait, selon lui, dû au type d’histoire racontée au Québec et aux budgets de production qui ne sont « pas suffisants ». Il mentionne toutefois comme exemple la série de science-fiction Les Rescapés présentée à Radio-Canada dès 2010 qui nécessitait un travail important en postproduction.
Anne Fossier précise que les séries québécoises font appel à des compagnies d’effets visuels pour masquer certains éléments à l’arrière-plan, ou même pour changer des détails dans l’image. Le genre d’effets « qui ne se deviennent pas parce que ce ne sont pas des explosions ».
Bureau du cinéma et de la télévision du Québec
Pourquoi y a-t-il une plus grande présence de VFX au petit écran ?
L’ère du VFX pour les productions multiplateformes commence de plus en plus à se faire sentir, alors que les effets visuels dans ce domaine étaient jusqu’à tout récemment à l’avant-garde de ceux des longs métrages. En effet, ces VFX sont du même calibre, mais plus rapides et moins coûteux.
En entrevue avec Espresso-Jobs, le chef de département FX de la branche montréalaise de la Britannique DNEG, Xavier Lestourneaud, affirme qu’il y a « clairement une plus grosse demande et les gens sont avides de cette manière de raconter les histoires ». Il précise que les réalisateurs ont dix épisodes d’une heure plutôt qu’un film de deux heures. Ça leur donne plus de temps pour « complexifier les récits ».
Le défi est cependant que les budgets et les échéances sont restreints. La BBC, l’équivalent anglais de Radio-Canada, en est un exemple, elle qui fait affaire avec DNEG pour la série Doctor Who. Lorsque les plans leur sont envoyés, le montage est déjà fait et, très souvent, il ne déroge pas du montage, car l’équipe de réalisation est « consciente qu’elle a absolument besoin d’une shot à telle ou telle date ». « Au cinéma, tu peux te perdre un peu dans le temps », dit-il en riant.
Jean-Michel Clermont-Goulet
Manquera-t-il de main d’oeuvre prochainement?
En ce qui concerne la main-d’œuvre locale, « je dirais qu’il va en manquer », affirme d’emblée le professeur invité à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Jean-Pierre Flayeux. « Nous estimons que le nombre actuel de travailleurs est proche de 5 000 au Québec », explique d’ailleurs Anne Fossier du BCTQ.
Jean-Pierre Flayeux, qui a travaillé sur les effets visuels de films comme Avatar ou Hunger Games, estime que plusieurs entreprises veulent grossir et agrandir leurs équipes, parfois de 100 ou 200 personnes dans les prochaines années. Il croit que cette projection sera difficile à réaliser. « C’est rapide et dur à gérer. Ça demande un travail de gestion très serré », précise celui qui a travaillé près de 10 ans chez Hybride Technologies, l’une des pionnières dans le domaine au Québec. (Entrevue téléphonique, 4 novembre)
Même son de cloche pour Éric Falardeau qui pense qu’« un des gros enjeux de l’industrie en ce moment, c’est que c’est un secteur qui a une énorme croissance et on manque d’employés ». C’est pourquoi les compagnies en effets visuels soutiennent et collaborent énormément avec les écoles, qu’elles soient publiques ou privées, comme l’UQAT ou ISART.