Le concept d’écoanxiété est-il nouveau ?

Pas tout à fait, malgré ce qu’on pourrait lire dans les manchettes qui défilent ces temps-ci. Le terme « écoanxiété » ou « solastalgie », forme de détresse psychique causée par les changements climatiques, a été inventé au début des années 2000 par le philosophe australien Glenn Albrecht. Il va sans dire que le concept est de plus en plus étudié depuis quelques années, et ce, aux quatre coins du globe. À Montréal, le psychologue Joe Flanders s’intéresse au phénomène et observe lui-même une augmentation du nombre de patients souffrant de ce malaise existentiel, bien qu’il existe peu de données sur le sujet au Canada. Aux États-Unis,environ 69 % des gens se disent au moins « un peu inquiets » du réchauffement climatique et 29%, « très inquiets », selon un rapport publié en 2018 par les universités Yale et George Mason. « Les recherches sont là, c’est un fait », dit Flanders. (Entrevue téléphonique, 16 octobre 2019) Pour lui, les déclencheurs de cette forme d’anxiété sont multiples en milieu urbain, où l’essence et le plastique sont omniprésents et pratiquement essentiels au mode de vie collectif. 

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Le phénomène planétaire Greta Thunberg angoisse-t-il davantage les écoanxieux ?

La question peut sembler contradictoire : comment la militante écologiste reconnue mondialement peut-elle aviver le mal-être de ceux qu’elle tente de rassurer face à l’urgence climatique ? « Greta Thunberg l’a dit elle-même : elle veut que tout le monde soit anxieux », rappelle Joe Flanders, également fondateur et directeur de la clinique MindSpace, qui offre des ateliers sur la pleine conscience. Ce message brut a cependant son lot de nuances, explique Flanders, qui précise que la Suédoise de 16 ans ne cherche pas à provoquer le même genre de réaction « devant des étudiants de niveau secondaire [que devant] l’Assemblée générale des Nations unies ». « Aux Nations unies, elle a tenté de stimuler cette anxiété, car les [dirigeants] ne sont pas anxieux à la base. Mais si elle va parler de cette anxiété dans une école secondaire, où le taux de stress est très élevé, ce n’est pas une bonne stratégie. » Dans tous les cas, une constante demeure : il est bénéfique pour un écoanxieux de poser des gestes concrets pour réduire son anxiété, comme marcher dans les rues de Montréal aux côtés de Greta Thunberg et de 500 000 autres personnes, souligne Flanders. Cet appel à l’action urgente, valorisée de manière viscérale par la jeune militante écologiste, trouve un écho chez l’étudiante de l’UQAM Béatrice Lange, qui souffre d’écoanxiété. « Plus il y a de personnes sensibilisées, moins on sera d’écoanxieux (Entrevue téléphonique, 16 octobre 2019. ». Et les appels à l’urgence climatique de Thunberg ? « Ça me donne plus d’espoir. »

ecfe19d5-d80a-11e9-a65c-0eda3a42da3c.jpeg Ressources naturelles Canada

Quelles sont les personnes les plus susceptibles de souffrir d’écoanxiété ?

Lorsqu’on parle d’écoanxiété, il y a une variable très importante à considérer : la distance psychologique. « Plus on est proche des effets des changements climatiques, plus on va être affectés sur le plan de la santé mentale », donne en exemple Joe Flanders. Selon lui, il va de soi qu’une personne qui vit en Alberta et qui soutient l’industrie des sables bitumineux sera beaucoup moins anxieuse qu’une personne qui subit une tempête ou une inondation et qui voit sa ville, sa maison ou ses proches touchés directement. Il faut donc comprendre que les personnes plus vulnérables seront plus à risque de souffrir d’écoanxiété, soit les personnes plus démunies ou qui habitent dans des pays moins développés ou encore dans des communautés autochtones, par exemple. À Tuktoyaktuk, dans les Territoires du Nord-Ouest, certains Inuits sont forcés de quitter la maison dans laquelle ils ont vécu toute leur vie, car elle risque d’être emportée par la mer, la rive s’érodant à coup de centimètres chaque année.

Capture d’écran, le 2019-10-17 à 06.39.28.png Montage | Laurence Philippe

Comment l’écoanxiété se manifeste-t-elle chez une personne ?

« Angoisse, anxiété, insomnie, sentiment de tristesse, de culpabilité… » Le psychologue Joe Flanders a lui-même accueilli dans sa clinique des clients aux prises avec ce trouble. Il résume la définition de l’écoanxiété avancée par l’American Psychological Association : « Une peur chronique du désastre environnemental ». Béatrice Lange, qui étudie en enseignement préscolaire et primaire, fait part du « sentiment d’être stressée chaque jour ». « Il y a des nuits durant lesquelles je ne dors pas à cause des articles que j’ai lus [sur l’état du climat] ». Pour Lange, cette « peur chronique » est alimentée quotidiennement par un « sentiment d’impuissance ». « Tu réduis ta consommation, tu magasines dans des friperies, tu vas à la manifestation [du 27 septembre]… Puis, tu réalises que les gens qui t’entourent ne font pas les mêmes efforts », se désole-t-elle. Pour Joe Flanders, certaines activités quotidiennes augmentent la culpabilité d’un écoanxieux, qui pourrait par exemple oublier ses sacs réutilisables avant de se rendre à l’épicerie, et qui n’aura d’autre choix que de se servir de sacs en plastique. « Cette personne se sentira coupable, car elle ne fera pas partie de la solution, mais plutôt du problème », dit-il.

_MG_0484.jpg Ludovic Théberge

Peut-on guérir de l’écoanxiété ?

Ce n’est pas un malaise qu’il faut traiter, mais plutôt une résilience qu’il faut développer, explique Joe Flanders. La thérapie cognitive, c’est-à-dire la thérapie du comportement, est la première étape pour comprendre l’état d’esprit d’un patient, l’écoanxiété étant un concept abstrait, croit le psychologue. « C’est facile de développer des angoisses, de surestimer la menace », précise-t-il. Tisser des liens avec des personnes qui en souffrent est aussi important, selon lui. Ce sont des solutions qui se prennent en groupe, donc la réflexion doit être collective. « Il faut créer des groupes de soutien », insiste Flanders. Il s’agit d’ailleurs d’un des projets que sa clinique souhaite développer dans les prochains mois. Mais il croit tout de même que la façon la plus concrète d’apaiser l’écoanxiété est de prendre action pour « essayer de faire partie de la solution au lieu de rester passif ». Béatrice Lange, qui souffre d’écoanxiété depuis quelques mois, explique que son sentiment d’impuissance peut prendre le dessus quand elle prend conscience que le mouvement collectif n’a pas assez d’ampleur.

_MG_0378.jpg Ludovic Théberge

La résilience psychologique provoque-t-elle une désensibilisation du problème ?

La différence entre l’écoanxiété et toute autre forme d’anxiété, c’est que le but des psychologues n’est pas de l’éliminer. Au contraire, l’objectif est de la canaliser en gestes concrets, car il est tout à fait « rationnel » et « normal » de se sentir anxieux par rapport aux changements climatiques, dit Joe Flanders. « Jamais je ne vais enseigner à mes clients de développer des fantasmes ou de fausses pensées positives. Cette méthode ne fonctionne pas. » Si on comprend bien la réalité du problème planétaire, l’anxiété peut se développer naturellement, selon lui. Or, cette dernière doit être transformée en pouvoir d’action. « Le problème, c’est lorsque l’anxiété est trop élevée, alors la capacité d’agir est compromise. C’est une question de gestion pour trouver le niveau optimal », résume-t-il.

Sources :

https://www.apa.org/monitor/2016/07-08/climate-change
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1154921/stress-changements-climatiques-rechauffement-planete
https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/desautels-le-dimanche/segments/reportage/134821/eco-anxiete-est-elle-en-train-de-devenir-mal-du-siecle-akli-ait-abdallah
https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/201909/15/01-5241355-un-village-inuit-au-bord-du-gouffre.php

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