Comment expliquer le soutien de FOX News à CNN dans l’affaire Acosta ?
À la suite d’un échange musclé avec le président Donald Trump concernant sa politique migratoire, le journaliste vedette et correspondant en chef à la Maison-Blanche pour CNN, Jim Acosta, s’est vu retirer, le 7 novembre, son accréditation d’accès à la présidence. De cet événement hautement médiatisé est né une vague de soutien indéfectible de l’ensemble des médias américains, y compris, à la surprise de plusieurs observateurs, de FOX News, éternel rival de CNN.
FOX News s’est assuré d’offrir son appui à CNN dans ses démarches judiciaires, qui ont finalement résulté le 16 novembre à la restauration de ladite accréditation par l’ordonnance du juge Timothy Kelly. Les accréditations «ne devraient pas être utilisées comme une arme», avait écrit Jay Wallace, président de FOX News. Si la protection du Premier amendement, qui garantit la liberté d’expression aux États-Unis, peut sembler être la principale motivation de FOX News dans cette affaire, il semble qu’il y ait également d’autres facteurs qui aient poussé le média conservateur à faire abstraction de ses divergences avec CNN. «FOX veut se positionner comme étant ‘’the real news’’. C’est une question importante et FOX a eu raison de le faire politiquement et stratégiquement. Il y avait un mouvement aux États-Unis en support à Acosta, donc à la liberté d’expression, et FOX ne voulait pas en être isolé», déclare Donald Cuccioletta, chercheur à l’observatoire des États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand (entretien téléphonique, 18 novembre 2018). En agissant ainsi, ajoute-t-il, FOX News démontre une certaine solidarité envers ses collègues à la Maison-Blanche. « FOX devance CNN depuis quelques années en terme de popularité et un geste comme celui-là consolide son avance », affirme Donald Cuccioletta.
Reuters/Kevin Lamarque
Est-ce la première fois que ces deux chaines se soutiennent sous l’ère Trump ?
Les terrains d’entente sont très rares entre ces deux géants de l’information. D’un côté, FOX soutient une ligne éditoriale de droite, et parfois même d’extrême droite, qui défend régulièrement les positions mises de l’avant par Donald Trump. CNN, au contraire, est un média plutôt centriste qui critique sévèrement le président américain jusqu’à en contester sa légitimité.
Cependant, l’expert en culture politique américaine à la Chaire Raoul-Dandurand, Louis Balthazar, souligne qu’il est arrivé que FOX prenne ses distances à l’égard de Trump « lorsque celui-ci est allé trop loin » (échanges de courriels, 17 novembre 2018). « [FOX News s’est rangé du côté de CNN] lorsqu’il (Trump) s’est refusé à toute dissidence à l’endroit de Poutine lors de sa dernière rencontre avec le président russe », affirme-t-il. Avant de mourir le 25 août, John McCain, sénateur républicain, de l’Arizona, avait dénoncé les propos « faibles » de Donald Trump envers Vladimir Poutine comme étant « l’un des pires moments de l’histoire de la présidence américaine ».
Reuters/Mike Segar
Comment peut être décrite la relation entre ces deux géants de l’information ?
Selon Donald Cuccioletta, CNN a considérablement changé depuis l’arrivée de Trump au Bureau ovale. Plutôt de centre droite, le média avait entre autre appuyé Jeb Bush aux primaires présidentielles du Parti républicain de 2016, CNN est aujourd’hui beaucoup plus centriste. « CNN a changé son fusil d’épaule. La position plus centriste, en réaction au populisme de Trump, est une position qu’il a prise afin de combattre FOX », affirme l’analyste de politique américaine. Avec Jake Tapper, sa figure forte dans les studios, et Jim Acosta, son pilier désigné à la Maison-Blanche, CNN tente de s’imposer comme le média dominant. « Ils essaient d’imiter ce que CBS a fait avec Dan Rather lorsqu’il a fortement contribué à la démission de Richard Nixon. CNN veut réussir à destituer Donald Trump », affirme Donald Cuccioletta. Si CNN réussissait à atteindre son objectif, ce que l’observateur des États-Unis considère très improbable, le média retrouverait sa dominance sur l’échiquier médiatique américain.
FOX News, de son côté, cherche à discréditer les démocrates et à défendre Donald Trump. Ses choix de couverture par rapport à l’activité présidentielle sont très différents de ceux de CNN alors que ce dernier a tendance à remettre en question toutes les actions de celui-ci et à souligner ses moindres faux pas. « FOX News s’intéresse peu à l’enquête Mueller sauf pour la diminuer », affirme Louis Balthazar. « Les deux chaines sont ennemies la plupart du temps. Des journalistes comme Sean Hannity et Tucker Carlson défendent régulièrement les positions de Trump », conclut l’expert en culture politique américaine.
Yahoo
Quelle relation entretiennent habituellement CNN et Fox avec la liberté d’expression ?
« Je note que la partisannerie des médias est un phénomène relativement nouveau aux États-Unis. Avant Trump, la plupart des médias, la télévision surtout, tenaient à se donner au moins une apparence d’objectivité et d’équité envers tous les points de vue », affirme Louis Balthazar.
On peut difficilement se méprendre : CNN comme FOX News mettent de l’avant leur idéologie sans complexe. FOX défend toute idéologie de droite et d’extrême droite, héritage de l’ex-p.d-g Roger Ailes. Ce dernier, considéré comme l’un des grands de la communication de droite, a également œuvré comme consultant pour les présidents américains Nixon et Reagan. Comme de fait, il a également été conseillé pour la campagne de Donald Trump avant son décès en 2017, après avoir quitté son poste chez FOX News aux à la suite d’allégations d’inconduites sexuelles.
« Les deux médias ont une relation assez similaire avec la liberté d’expression. Ils croient respecter celle-ci à leur manière même s’ils ne laissent pas beaucoup de place aux autres points de vue », conclut Donald Cuccioletta qui affirme ne pas croire à l’objectivité en journalisme.
Mark Humphrey/AP
Est-ce la première fois qu’un journaliste américain se voit retirer son accréditation ?
« À ma connaissance, c’est la première fois qu’un journaliste se voit retirer son accréditation à la Maison-Blanche. C’est de l’autoritarisme », déclare Donald Cuccioletta. Donald Trump démontre une aversion pour les médias depuis ses débuts en politique. Il accuse régulièrement CNN de propager de fausses nouvelles (fake news) et est reconnu pour choisir méticuleusement les journalistes qui lui poseront des questions. Lors de ses discours de campagne électorale, il isolait volontairement les médias et choisissait, à l’occasion, d’éviter carrément de répondre aux questions qu’on lui posait. Cette accréditation qu’il a confisquée à Jim Acosta semble donc être le résultat d’une accumulation d’échanges houleux entre CNN et le président américain.
« Il n’est pas nouveau qu’un président américain soit excédé par les journalistes. Il faut dire qu’aux États-Unis, plus que partout ailleurs, ils sont excessifs et impolis dans leur poursuite », affirme Louis Balthazar.
Encore une fois, la liberté de presse aux États-Unis, cependant, est sacrée puisqu’elle est défendue dans le Premier amendement de la constitution américaine.
Xavier Bourassa
Les médias québécois sont-ils anti-Trump ? Y a-t-il un équivalent québécois ?
La plupart des médias québécois sont hostiles à Trump, excepté quelques radios à l’occasion. « Certains journalistes, tout en critiquant le comportement de Trump, sont sensibles aux causes qu’il soutient, notamment le contrôle de l’immigration », affirme Louis Balthazar. «Ils soulignent que les électeurs de Trump avaient raison de rejeter la mondialisation et l’immigration débridée. Ils voient en eux d’honnêtes gens qui veulent protéger leur identité nationale », poursuit-il. Bien entendu, il s’agit d’une minorité.
Le rejet du journaliste de CNN Jim Acosta rappelle Maurice Duplessis, le 27 juin 1958, qui avait expulser de son bureau le journaliste Guy Lamarche du Devoir pour protester contre les critiques de ce journal envers son régime. Il avait également expulsé le journaliste Marcel Thivierge d’une conférence de presse à la fin des années 1950 en déclarant : «C’est pas Ti-vierge, c’est Ti-crisse ! Dehors !». Le premier ministre de l’Union Nationale avait tendance à discréditer certains médias, comme Le Devoir, encore une fois, qu’il a traité de « feuille jaune et mensongère » et de « bolchevique ».
Sources :