Pourquoi le Québec a-t-il tendance à surmédicamenter les jeunes atteints d’un TDAH ?
Le Québec est un champion incontesté en ce qui a trait à la proportion d’adolescents qui consomment des médicaments reliés au trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Dans les faits, le taux de prévalence de consommation au Québec est trois fois plus élevé que dans le reste du Canada. Le taux de prévalence du TDAH chez les adolescents québécois, lui, est de deux à trois fois plus élevé que celui observé dans la population mondiale. La professeure de psychologie à l’UQAM Marie-Claude Guay y va de trois hypothèses pour expliquer ces vastes écarts. (Entrevue téléphonique, 20 novembre 2019) « D’abord, l’accès à la médication est plus facile au Québec étant donné que plusieurs personnes détiennent des assurances », souligne-t-elle. Ensuite, une panoplie de professionnels de la santé, du pédiatre scolaire au neuropsychologue, sont en droit de porter un diagnostic selon leur propre grille d’analyse. Enfin, les coupes des dernières années dans le réseau scolaire ont rongé à l’os les services de soutien à l’apprentissage et accéléré indûment la tombée des diagnostics.
INESSS
Quelles sont les personnes les plus susceptibles de recevoir un diagnostic de TDAH ?
Au Québec, 15 % des jeunes âgés de 10 à 17 ans consomment des psychostimulants prescrits par un médecin à la suite d’un diagnostic de TDAH. Dans certains pays d’Europe et à travers le reste du Canada, on parle plutôt de 5 à 7 % des jeunes qui sont médicamentés, fait remarquer Marie-Claude Guay. « [La prévalence] est deux fois plus élevée [au Québec] que celle à laquelle on devrait s’attendre », précise-t-elle. Et c’est ce qui crée un enjeu social autour de la qualité du diagnostic, selon elle. Selon l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), la proportion des jeunes de 18 à 25 ans qui consomment des psychostimulants en raison d’un TDAH a augmenté de 81 % en seulement trois ans, passant de 6,5 % à 8,1 %.
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Est-ce qu’un diagnostic de TDAH mène de facto à une prise de médicaments ?
Pas nécessairement, affirment les experts rencontrés. Dans sa pratique, Marie-Claude Guay explique qu’elle suggère la médicamentation au médecin traitant si et uniquement si l’enfant ou l’adolescent atteint d’un TDAH présente des « difficultés d’adaptation ». « Les difficultés sont parfois à ce point sévères que l’élève sera en rupture de fonctionnement », comme dans le cas d’un jeune en situation d’échec scolaire. Le professeur de psychologie à l’UQAM François Richer explique que d’autres approches comportementales peuvent aider l’enfant ou l’adolescent en difficulté. (Entrevue en personne, 15 novembre 2019) Il convient néanmoins que le système de santé ne doit pas échapper les élèves qui n’auraient pas accès à une médication et qui seraient « tolérés en tant que cancres à l’école ». « On sait que les cas de TDAH réels, quand ils ne sont pas traités durant le primaire, arrivent au secondaire et s’autotraitent avec du cannabis et de l’alcool ou s’évadent dans des comportements à risque, comme des activités sexuelles non protégées. »
Gabriel Bernier
Quelles sont les alternatives à la médicamentation ?
Selon Marie-Claude Guay, un enfant atteint d’un TDAH doit être médicamenté, mais il faut aussi aller plus loin et se demander, en tant que parent, s’il y a autre chose à faire pour l’enfant. S’il a des problèmes scolaires, il faut apporter un soutien pédagogique, et s’il s’agit de problèmes de comportements, c’est un suivi psychologique qu’il faut envisager. De son côté, François Richer croit qu’il y a d’autres alternatives qui peuvent être envisagées avant de procéder à la consommation de médicaments. Certaines pratiques parentales plus rigoureuses telles que de l’activité physique une heure par jour ou des régimes de sommeil plus stricts ne sont pas négligeables. « Il y a la thérapie comportementale qui peut fonctionner dans certains cas. […] Il y a la psychoéducation qui peut être bénéfique, surtout dans des cas moins sévères. Et je pense qu’il faudrait commencer par ça. » Selon les deux experts, le besoin de bouger reste toutefois inévitable chez un enfant atteint du TDAH. Il faut donc, au-delà de la médicamention, s’assurer de faire bouger l’enfant le plus possible dans le but de le stimuler quotidiennement.
Gabriel Bernier
À quel point est-il difficile de diagnostiquer le TDAH ?
François Richer, qui souligne que le TDAH semble être le « mal du siècle », explique toute la complexité derrière le diagnostic. Le TDAH, un trouble neurodéveloppemental « assez flou », n’est associé à aucun marqueur biologique, au même titre que les troubles du spectre de l’autisme, par exemple. « On diagnostique par élimination, en retirant d’abord les troubles anxieux, dépressifs et d’autres troubles du comportement », résume Richer. De son propre aveu, cette méthode peut causer du surdiagnostic. « Par réflexe de vouloir régler la question rapidement », ce surdiagnostic peut causer une surmédication. « On est dans une société qui veut des réponses et des interventions rapides », laisse-t-il tomber. Y a-t-il plus de gens qui souffrent d’un TDAH parce qu’on détecte de plus en plus le trouble ? Il y a parfois un usage excessif de psychostimulants pour des gens qui sont simplement un peu perturbateurs, avoue Richer. « Il y a un effet d’intolérance de la part du milieu de l’éducation et du milieu familial [face à ce trouble]. »
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Le processus d’évaluation du TDAH devrait-il être le même partout dans la province ?
Peu importe la région dans laquelle se fait évaluer un enfant, le processus devrait être le même. C’est ce que l’INESSS a recommandé dans son mémoire remis au gouvernement du Québec lors de la commission parlementaire sur la consommation de médicaments pour traiter le TDAH, qui avait lieu du 6 au 8 novembre dernier. En ce moment, au Québec, il n’y a aucune évaluation uniforme pour le processus de diagnostic du TDAH. « Il faudrait avoir une meilleure compréhension de [la manière] de procéder pour faire l’évaluation. C’est sûr que chaque professionnel va regarder en fonction de sa lunette », explique Marie-Claude Guay. Un neuropsychologue pourrait prendre six heures avec un enfant avant d’en arriver au diagnostic de TDAH. Un médecin, quant à lui, n’aura pas le même temps et les mêmes outils, donc le processus sera inévitablement différent, explique la spécialiste. Selon le mémoire de l’INESSS, ce qui distingue le Québec de l’Europe, et surtout de la France, c’est que leurs spécialistes ne posent un diagnostic que lorsque les trois grandes caractéristiques du TDAH (inattention, impulsivité et hyperactivité) sont repérées. Au Québec, l’INESSS déplore qu’il y ait une tendance à poser un diagnostic dès qu’une « seule série de symptômes sont observables ».
Sources
CSSS – 009M C.P. – Consommation de psychostimulants chez les enfants et les jeunes VERSION RÉVISÉE