En quoi le concept de la souveraineté est-il un concept abstrait?
Un gouvernement majoritaire formé par les députés de Québec solidaire (QS) impliquerait la nation québécoise dans une quête vers la souveraineté, que ceux-ci traduisent par l’indépendance. Voter pour QS signifie voter pour la sécession du Québec de manière implicite, considèrent les députés et les membres du parti. Cependant, référendum ou pas, atteindre la souveraineté est plus complexe.
Plusieurs nations dans le monde tentent de se rapprocher collectivement de cet idéal. La souveraineté désigne un concept philosophique assurant l’autonomie suprême des droits et libertés. Au Québec, à plusieurs reprises dans l’histoire de la province, la souveraineté a été le sujet d’un débat idéologique, politique et juridique. Ces trois pôles montrent déjà une compréhension divisée du concept. Lorsque l’école de pensée souverainiste québécoise s’est braquée à l’opposé de la classe politique fédérale pour s’autodéterminer, c’est finalement le cadre juridique, par le biais de la Constitution du Canada qui aura le fin mot de l’histoire.
Selon l’avocat et spécialiste du droit constitutionnel Alexandre Morin (entrevue téléphonique, 19 novembre 2019), le concept de la souveraineté politique, comme les différents projets de lois de souveraineté-association de René Lévesque, est abstrait. Le cadre juridique, qui découle de la Constitution, demeure pour sa part clair. Même si certains projets politiques, comme la sécession du Québec, utilisent le concept de la souveraineté pour se faire valoir, il n’atteint pas l’autonomie suprême. La souveraineté politique se distingue donc de la souveraineté juridique.
François-Alexis Favreau
Est-ce que le Québec est libre de se séparer sans l’accord du Canada ?
Le professeur du département de science politique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Alain Gagnon, est catégorique à ce sujet : le Québec n’a pas le pouvoir de se séparer unilatéralement du Canada. « Le Québec doit respecter un certain nombre de conditions à la suite du Renvoi à la Cour suprême concernant le droit de Québec de faire sécession de 1998 », soutient-il. (échange courriel du 19 novembre 2019)
Dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, la Cour suprême a statué en 1998 qu’une réponse majoritaire positive à un référendum ne serait pas suffisante pour affirmer la sécession du Québec face au Canada. Toutefois, celui-ci oblige le Canada et les provinces à négocier de bonne foi dans l’éventualité d’une réponse claire à une question claire sur la sécession.
De plus, le renvoi affirme que le Québec pourrait revendiquer son droit de sécession dans le cas où le gouvernement fédéral n’honore pas ses obligations constitutionnelles. Le gouvernement canadien est tenu de respecter quatre principes : « Le respect du principe fédéral, le respect du principe démocratique, le respect de la règle de droit et du constitutionnalisme et le respect des droits des minorités », rappelle Gagnon.
Pourtant, pour le Québec, n’ayant pas signé la Constitution de 1982, « cela indique que la Constitution canadienne ait une légitimité plus faible au Québec comme cela a été confirmé au cours des années 1980 et 1990 avec une série de négociations constitutionnelles », admet Gagnon. Le Québec est tout de même soumis au respect de la Constitution et ne possède pas le pouvoir de s’en soustraire .
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Est-ce que la Constitution fait consensus parmi toutes les provinces ?
La transition de la pleine autonomie du pouvoir entre la Grande-Bretagne et le Canada s’organise depuis le Statut de Westminster édicté en 1931. Depuis, les premiers ministres fédéraux et provinciaux ne sont pas d’accord sur la manière dont la Constitution devrait être amendée. Le Québec est devant un dilemme, si le Canada accepte le transfert de pouvoir accordé par la Grande-Bretagne et s’il est libre d’amender sa Constitution, le gouvernement fédéral sera aussi libre d’amender les nouvelles modalités selon ses règles.
Lorsque les indépendantistes perdent le référendum de 1980, Pierre Elliott Trudeau entame le processus de création d’une charte des droits et d’une formule d’amendement pour la Constitution. En novembre 1981, le gouvernement fédéral, ainsi que neuf des dix gouvernements provinciaux (tous, sauf le Québec) se mettent d’accord pour envoyer une proposition à Londres.
Sur le plan strictement juridique, le consentement du Québec n’étant pas nécessaire à la Loi constitutionnelle de 1982, celle-ci s’applique à toutes les provinces.
François-Alexis Favreau
Comment la «théorie de l’arbre vivant » peut jouer en faveur de la cause souverainiste ?
La « théorie de l’arbre vivant », garantit la liberté d’interprétation de la Constitution afin qu’elle s’adapte au contexte social de l’époque. Suivant ses principes fondateurs, la Constitution doit être interprétée de manière large et libérale, contrairement aux lois fédérales ou provinciales qui n’ont pas un statut suprême et qui doivent être interprétées de manière restrictive. Son contenu est d’ailleurs lui-même assez général.
« La définition d’un mot en 1867 n’a pas la même signification aujourd’hui, […] en autant que le sens d’un mot peut s’y prêter, on peut le faire évoluer », explique Morin. Invoquant l’évolution de la société depuis 1867, le tribunal a élargi la définition de « personne » pour y inclure les femmes. C’est ainsi que s’est introduit le principe de l’arbre vivant, issu du droit anglais.
Par ailleurs, le philosophe et professeur à l’Université de Victoria James Tully, écrivait dans son essai The unattained yet attainable democracy que la sécession du Québec démontrerait la flexibilité de l’ordre constitutionnel. Permettre à une législature provinciale d’entamer une procédure conduisant à une négociation dans le but d’effectuer un amendement constitutionnel dont l’objectif est la sécession prouverait la bonne foi du gouvernement fédéral.
La Presse Canadienne
Pourquoi le Québec ne peut-il pas faire sécession uniquement grâce à un référendum positif ?
À cause du caractère seulement consultatif d’un référendum et non décisionnel, ce dernier n’a aucune valeur juridique.
Pour faire sécession et ainsi se retirer de la Constitution, le Québec doit faire adopter un amendement constitutionnel avec le consentement de toutes les assemblées provinciales du pays en plus de celui du Sénat et de la Chambre des communes.
Dans une telle situation, le renvoi sur la sécession est encore une fois évoqué. « La Cour suprême vient dire dans le renvoi, qu’une décision majoritaire prise démocratiquement par le peuple du Québec ne signifierait pas automatiquement que le Québec a le droit de faire sécession, mais signifierait que les neuf autres provinces et territoires auraient l’obligation de négocier », mentionne Alain Gagnon.
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Un Québec indépendant sera-t-il souverain pour autant ?
L’obstacle principal à une pleine souveraineté québécoise réside principalement dans les propositions politiques qui se rapprochent davantage de l’indépendance tout en gardant des liens avec le Canada. Dans ce contexte, si on se réfère à la définition juridique de la souveraineté, les politiques en ce sens ne peuvent pas prétendre l’atteindre entièrement.
Vient s’ajouter l’incidence de la déclaration sur le droit à l’autodétermination des peuples dans la Charte des Nations Unies dans l’enjeu de la souveraineté au Québec fait réfléchir. Les communautés autochtones revendiquent sur leurs territoires certains droits propres, leur autonomie et le droit de s’autodéterminer. « Un Québec souverain serait toujours aux prises avec les revendications de natures souverainistes des communautés autochtones », fait remarquer Morin. Ainsi, même si le Québec se séparait du Canada, des individus d’autres nations sur son territoire ne partagent pas nécessairement le sentiment de souveraineté.
Sources: