Qu’est-ce que le hashtag #RiceBunny ?

Le hashtag #RiceBunny fait écho au hashtag #MeToo en Occident. « Il faut parler chinois pour comprendre. RiceBunny en chinois se prononce « metoo », soit « mi tu » dans le système pinyin de transcription phonétique du chinois », déclare Hélène Piquet, professeur en droit et spécialiste en droit chinois à l’UQAM. (Échanges par courriel le 2 octobre 2018). « Mi » signifie « riz » tandis que « tu » signifie « lapin » ce qui donne lieu au hashtag #rizlapin.

Elle ajoute : « Les internautes chinois jouent sur la langue chinoise afin de créer des homophones ou références codées à des personnalités, problèmes ou autres, dans le but de déjouer la censure. Cela donne souvent des résultats concluants pour eux ». Ainsi, « #MeToo est censuré, mais non l’homophone Mi Tu (Rice Bunny) ».

Une femme sur six sur la planète est chinoise.

20180907_192211.jpg Maud Le Teuff

Que se passe-t-il en Chine du point de vue des féministes ?

Un mouvement féministe est apparu en Chine du début du siècle. La période maoïste, entre 1949 et 1976, a été un des éléments déclencheurs. Par la suite, en 1978, avec les réformes économiques, « la Chine s’est ouverte sélectivement à l’Occident. L’avènement de l’internet a marqué une vraie révolution pour la circulation des idées », déclare Hélène Piquet.

Les mouvements féministes chinois sont par ailleurs freinés par « le gouvernement qui exerce une censure très forte », ajoute-t-elle. En mars 2015, cinq militantes ont été arrêtées pour avoir organisé une distribution de tracts et d’autocollants contre le harcèlement sexuel. « La police a déclaré qu’elles étaient soupçonnées d’ “incitation à la violence et de trouble de l’ordre public” mais a refusé d’en dire plus », indique Oiwan Lam, dans « Global Voices », un réseau international de blogueurs et journalistes, basé à Amsterdam. Elles ont été finalement libérées après un mois d’emprisonnement, de façon conditionnelle.

Depuis cette histoire et les affaires de harcèlement sexuel aux États-Unis, les mœurs ont commencé à changer en Chine.

Sans titre.png Maud Le Teuff

Qui est à l’origine des mouvements #MeToo en Chine ?

En janvier 2018, pour la première fois, une femme témoigne publiquement sur internet des violences qu’elle a subies. Luo Xixi publie un message sur Weibo, une plateforme considérée comme le « twitter chinois », avec le hashtag #WoYeShi, signifiant #Moiaussi en mandarin. Elle y accuse son professeur, Chen Xiaowu, de l’avoir agressée sexuellement à l’université.

Son témoignage est considéré comme l’élément déclencheur d’une vague de témoignages tels que le sien. Alors qu’aux États-Unis, le hashtag #Metoo a commencé avec les stars d’Hollywood, en Chine, il s’agit des étudiantes dénonçant leurs professeurs qui sont à l’origine du hashtag. À leur tour, d’autres femmes et hommes, de différents milieux, viennent ajouter leurs témoignages à celui de Luo Xixi. Parmi ceux-ci, des religieuses du temple de Longquan qui dénoncent Que Xuecheng, personnalité politique et religieuse importante dans le pays.

Par ailleurs, tous les témoignages comportant les hashtags #Metoo et #WoYeShi ont été supprimés par le gouvernement. La censure, importante en Chine, n’empêchera pas de nombreuses personnes à témoigner par l’intermédiaire du hashtag #RiceBunny.

DSC_3447-1140.jpg Supchina

Pourquoi le gouvernement chinois censure-t-il ces mouvements ?

Hélène Piquet explique: « La censure tient au fait que le gouvernement actuel a adopté une rhétorique anti occidentale très marquée, et que le féminisme est présenté comme un concept occidental non adapté à la Chine. Plus profondément, la répression traduit le fait que le régime ne tolère aucune critique et privilégie le maintien de la stabilité. Le mouvement féministe renaissant en Chine est pris dans cet engrenage. »

136131481_14895825575601n.jpg Xinhua/Li Tao

Une loi contre le harcèlement sexuel dans le code civil rentre-t-elle en vigueur ?

En 2016, après plusieurs années de combat, une loi contre les abus domestiques a été votée. Il s’agit d’un grand pas, mais qui n’empêche pas 25 à 30 % des femmes d’être victimes de violences.

Dans la même lignée, « le concept de harcèlement sexuel n’est pas reconnu en droit chinois. Il est discuté dans des milieux restreints. Il faudra sans doute attendre longtemps avant qu’il soit intégré au droit chinois légiféré », explique Hélène Piquet

Elle ajoute : « Il faut regarder non pas le Code civil, à l’état embryonnaire en Chine, mais les lois sur le travail. »

Après ces révélations, différents médias d’État ont annoncé le 27 août que le pays interdirait le harcèlement sexuel et rendrait les employeurs responsables de sa prévention. « Un vaste projet de code civil devrait être achevé d’ici à 2020 », annonce le média chinois « Hong Kong FP ». Ce code civil sera ensuite soumis à un vote à l’assemblée législative, le Congrès national du peuple (CNP). La réglementation proposée interdirait le harcèlement sexuel et inclurait une définition de ce qui constitue une infraction, a déclaré l’agence de presse officielle Xinhua.

cao_chfemdc_06.jpg Foreign Policy

Doit-on s’attendre à voir le phénomène prendre de l’ampleur dans le pays à l’avenir ?

Le phénomène s’étend à différentes sphères dont la sphère politique. « Il est difficile de prévoir ce qui va se passer, qui dépend du contexte plus large. Pour le moment, les idées féministes circulent mais font aussi l’objet d’attaques, dans un contexte où la société chinoise adhère au paradigme de la femme au foyer, mère, épouse, belle-fille, sans vie professionnelle », témoigne Hélène Piquet.

Elle conclut par un constat : « En pratique, il est difficile de mesurer la prise réelle du mouvement féministe, car il doit  rester dans la clandestinité ou une semi-clandestinité. Pour autant, le #metoo, bien que censuré en Chine, frappe les esprits et a incité des jeunes femmes à agir. »

Sources:

https://www.lesinrocks.com
https://ici.radio-canada.ca
https://www.lemonde.fr
https://information.tv5monde.com
https://chinadigitaltimes.net

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