Quel bilan pouvons-nous faire du cours d’éducation à la sexualité ?
Un bilan en dents de scie, s’entendent pour dire les intervenantes consultées et bon nombre d’organismes communautaires, plus d’un an après l’implantation du cours d’éducation à la sexualité. Julie Robillard, porte-parole de la Coalition pour l’éducation à la sexualité, déplore en premier lieu le sous-financement de l’éducation à la sexualité. Actuellement, c’est moins de 4,73 $ par élève par an que consacre Québec à la formation, loin des 47 $ par élève par an jugés nécessaires par Robillard et son groupe. Elle recense des « angles morts » dans le contenu éducatif mis sur pied par le gouvernement et distribué aux établissements scolaires. (Entrevue téléphonique, 6 novembre 2019) « Que fait-on [de la sexualité] des hommes trans ou des femmes en situation de handicap ? Il s’agit de populations dont on parle moins », explique celle qui est également co-coordonnatrice de la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN). Selon les informations diffusées sur le site du ministère de l’Éducation, la notion de stéréotypes sexuels est abordée dès la première année du primaire. Or, les notions de respect de la diversité, d’homophobie et de transphobie ne sont enseignées qu’à partir de la 6e année. Au secondaire, les thèmes abordés passent de l’orientation sexuelle à la notion de consentement, en passant par les infections transmises sexuellement. Au primaire, 5 heures de cours par an sont dispensées aux élèves. Au secondaire, il s’agit de 15 heures.
Agence QMI
Comment le manque de financement affecte-t-il le déploiement du programme ?
Depuis le retour du cours, en septembre 2018, 25 000 $ sont accordés à chaque commission scolaire pour l’éducation à la sexualité, en plus de 1000 $ supplémentaires par école, révèle Julie Robillard. « Ce qu’on calcule, c’est que si une personne était payée pour prendre ça en charge et pour créer des contenus, ça reviendrait à ce montant. » La Coalition pour l’éducation à la sexualité déplore la direction qu’est en train de prendre le cours. « Pour l’instant, si on ne paye pas quelqu’un pour soutenir [les enseignants], ça ne peut juste pas se faire. » Bien que le programme d’éducation à la sexualité soit obligatoire, il y a encore certaines écoles au Québec où le cours n’a pas encore été mis en place. « Il y a même des écoles qui n’ont pas encore reçu l’argent [du gouvernement] », poursuit Robitaille.
Istock
Les enseignants devraient-ils être ceux qui se chargent de l’éducation à la sexualité ?
Alors que les sexologues militent pour une reconnaissance de leur expertise, la formation est remise entre les mains des enseignants, qui ne sont pas spécifiquement formés pour ce genre d’intervention. Le cours d’éducation à la sexualité a été implanté en assumant que tous les membres du personnel enseignant avaient la capacité de transmettre ces apprentissages aux jeunes, pense Isabelle Arcoite, cofondatrice et directrice des opérations de la plateforme d’éducation sexuelle On SEXplique ça, créée il y a quatre ans (Entrevue en personne, 9 octobre 2019). « On ne demanderait pas à n’importe quel membre du personnel enseignant de donner le cours de français pendant un an simplement parce qu’on n’est pas allé chercher quelqu’un qui a une expertise », illustre-t-elle. « [Le cours] retombe sur le corps enseignant, mais on ne lui donne pas les moyens et les ressources pour le mettre en œuvre », dit Julie Robitaille.
Laurence Philippe
Quel rôle a joué le milieu communautaire dans l’élaboration du cursus du cours ?
« Le débat est là, à savoir si on prend l’éducation à la sexualité au sérieux », lance Isabelle Arcoite, avant de se désoler du fait que l’expertise des organismes communautaires, dont certains étudient ces questions depuis des dizaines d’années, a été pratiquement écartée de la table de travail du ministère de l’Éducation. Julie Robillard, elle, peine à évaluer sur le fond les contenus enseignés dans les écoles, non pas par manque de volonté, mais parce que « tous les groupes qui ne sont pas reconnus par le ministère n’ont pas accès aux canevas détaillés des activités des enseignants ». D’ailleurs, les organismes attendent le dépôt d’un premier bilan produit par le gouvernement sur les impacts des enseignements, dont la réalisation n’a toutefois pas été confirmée. « [Le programme d’éducation à la sexualité] est en train de revenir, mais de manière sporadique. Même s’il est obligatoire, si on n’a pas un cadre structuré pour nous guider, il ne sera pas introduit de la même manière dans toutes les écoles ni dans toutes les régions », ajoute Isabelle Arcoite.
Laurence Philippe
Quelles sont les conséquences d’une mauvaise éducation à la sexualité ?
Depuis la disparition des cours obligatoires d’éducation à la sexualité dans les écoles, en 2003, les effets ont été assez négatifs sur le comportement des jeunes. « On a vu une augmentation accrue du pourcentage d’infections transmises sexuellement et des grossesses non désirées chez la clientèle adolescente, mentionne Isabelle Arcoite. C’est sûr que ça représente un risque. » Sur la plateforme On SEXplique ça, par exemple, c’est 5 à 10 questions de jeunes par semaine qui sont posées et, parmi celles-ci, 90 % sont basées sur de l’information erronée, selon Arcoite. Et ces questions proviennent, la plupart du temps, de jeunes se situant dans la tranche d’âge de 8 à 10 ans. « Tu te dis que si ces jeunes-là se questionnent, c’est qu’ils en voient un peu de toutes les couleurs sur les plateformes qu’ils visitent et qu’ils n’ont pas accès à de l’information véridique. »
Jacques Boissinot | La Presse canadienne
L’éducation à la sexualité est-elle dans les plans depuis longtemps au Québec ?
Oui, depuis relativement longtemps, sans que les contenus enseignés soient nécessairement obligatoires. En 1984, le ministère de l’Éducation publie un guide d’activités pour le volet « éducation à la sexualité » du cours de formation personnelle et sociale. En 2003 – comme au tournant des années 2000 –, le gouvernement se lance dans une série de réformes de l’éducation et abolit ce cours. L’éducation à la sexualité est alors abordée à travers les différentes matières, notamment dans le cours de science, explique Julie Robillard. « Dans les cours de science, on parle de reproduction et d’organes génitaux, certes. Mais ça fait en sorte qu’on n’aborde pas du tout une vision positive [de la sexualité] ou du plaisir sexuel. […] On voit plus la sexualité comme étant un danger. » Enfin, à la fin de 2017, le ministre de l’Éducation de l’époque, Sébastien Proulx, annonce, dans la foulée du mouvement #MoiAussi, que les cours d’éducation sexuelle deviendront obligatoires dès la rentrée de l’automne 2018, au primaire comme au secondaire.
Sources :
http://www.education.gouv.qc.ca/parents-et-tuteurs/education-a-la-sexualite/
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1073006/education-sexuelle-obligatoire-eleves-septembre
https://www.actualites.uqam.ca/2019/education-sexualite-nouveau-programme-milieu-scolaire