Est-il imprudent de couvrir en détails les crimes violents ?
Le 16 novembre dernier, un homme de 31 ans, Marc-André Giroux, était accusé du meurtre de son père, en Outaouais. Cet événement est survenu près de deux semaines après les meurtre au katana dans le Vieux-Québec, le soir d’Halloween.
Selon Statistique Canada, l’indice de gravité des crimes violents au Canada a atteint 89,7, ayant grimpé de 7,3% entre 2018 et 2019. Régulièrement, les médias d’information sont appelés à couvrir ces cas.
Il est scientifiquement prouvé qu’il est hasardeux de couvrir en détails les crimes violents, selon le Dr. Louis Morissette, psychiatre et professeur adjoint clinique au département de psychiatrie et d’addictologie à la faculté médecine de l’Université de Montréal (Entretien téléphonique, 23 novembre 2020). Le but n’est pas de cacher ce qui se passe, « mais il est connu que plus de détails sont donnés lors de la médiatisation, comme le nom, l’âge, le moyen et le possible lien avec les victimes, plus les chances qu’un événement similaire se reproduise dans les heures ou les jours suivants augmentent ».
Le journaliste judiciaire à La Presse, Louis-Samuel Perron, est d’avis que le risque de contamination par les médias est négligeable face aux bénéfices qu’en tire l’intérêt public (Entretien téléphonique, 23 novembre 2020). « Les criminels sont capables de se créer des scénarios par eux-mêmes. Si risque il y a, je pense qu’il est assez faible par rapport à l’importance de montrer à la population que cette criminalité-là existe, d’où vient-elle et qu’est-ce qu’on peut faire pour l’éviter au final. »
Comment l’information propagée peut-elle encourager ou inspirer de futurs criminels?
Selon le Dr. Morissette, l’information relayée dans les médias a le potentiel de légitimer des idées noires que des individus pourraient avoir. « Les gens qui sont en souffrance et qui cherchent une façon spectaculaire de la démontrer, en leur donnant un guide d’emploi dans les médias, ça risque de leur donner des idées ou de légitimer celles qu’ils avaient déjà. »
L’ancien gestionnaire de services à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et criminologue de formation, Daniel Michelin (Entretien téléphonique, 25 novembre 2020), s’inquiète du phénomène copycat, soit le comportement de mimétisme favorisé par la publicité médiatique accordée à un acte dramatique. « On a vu dans l’histoire des gens qui s’inspirent et qui essaient de reproduire des gestes violents. […] Ces gens-là peuvent en venir à glorifier des personnes qui ont commis des crimes hors normes, en essayant soit de les imiter ou d’en faire des idoles. »
Ce phénomène a pu être observé dans le cas de l’accusé de la tuerie de Christchurch en Nouvelle-Zélande, qui a fait 49 victimes membres de la communauté musulmane en 2019, qui avait écrit plusieurs noms sur l’arme qu’il avait utilisée, dont celui d’Alexandre Bissonnette, reconnu coupable de l’homicide de six personnes musulmanes en 2017. Le 26 novembre dernier, la Cour d’appel réduisait la peine de Bissonnette. Ce dernier pourra demander sa libération après 25 ans de détention plutôt que 40.
Sur quels groupes de personnes la médiatisation de ces événements a-t-elle une répercussion?
Un guide mis sur pied par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) fait état de plusieurs conséquences à la médiatisation des événements violents. « Lorsqu’une tuerie survient, son importante couverture médiatique fait en sorte qu’elle se retrouve dans le quotidien des gens et possiblement au centre de leurs préoccupations. Cette médiatisation […] , comporte des conséquences pour la santé des individus et des communautés», indique-t-on dans ce rapport.
Outre les conséquences liées à l’imitation des crimes, on y répertorie les conséquences liées aux sentiments d’insécurité et à la détresse que peut ressentir la population générale, ainsi que les conséquences liées à la stigmatisation.
Dr. Morissette affirme qu’il est primordial de mettre l’emphase sur les victimes et sur la souffrance des familles plutôt que sur l’individu qui a passé à l’acte, afin d’éviter de « donner d’autres idées à des personnes en détresse avaient déjà. »
Quelle est la responsabilité des médias face à ces événements?
Selon Louis-Samuel Perron, le devoir des organes de presse demeure le même qu’à l’habitude, soit la vérification des faits. « On sait que sur les réseaux sociaux, les rumeurs peuvent s’enflammer très vite. Ce qui fait notre caractère essentiel, c’est qu’on est une voix fiable et crédible, parce qu’on vérifie notre information. »
Michelin estime que la distinction entre information et objet de divertissement doit être claire dans la façon de couvrir les crimes qui frappent l’imaginaire. « ll faut éviter les exagérations. Nous n’avons pas intérêt à ce que les détails sordides soient véhiculés dans les médias. On peut les retrouver dans d’autres médiums, comme des séries télévisées ou des films, où les gens peuvent faire le choix de voir ce genre de contenu », estime-t-il.
Comment les médias sociaux affectent-ils la couverture de ces événements?
D’après un rapport du Centre d’études sur les médias de l’Université Laval, près de 55% des Canadiens de langue française consommaient, commentaient et partageaient des publications d’information sur le web en 2018. Cette importance des réseaux sociaux représente de nouveaux défis dans le travail des journalistes, comme l’observe Perron. « L’information y circule beaucoup, les gens font leur propre enquête sur Internet et il y a de la désinformation. »
Ces outils de communication demeurent utiles pour les journalistes, selon lui. « Ça aide parfois à comprendre les motifs du criminel. Par exemple, on pourrait voir sur Facebook que trois jours plus tôt, il avait tenu des propos haineux contre tel élu ou tel groupe politique », explique-t-il, Il ajoute que « […] ça aide beaucoup à rejoindre les proches autant des victimes que des criminels. »
Faut-il censurer certaines informations sur les crimes qu’on traite dans les médias ?
Pour Louis-Samuel Perron, départager l’information essentielle des détails superflus demeure un travail d’équilibriste. « Très souvent, je couvre des faits divers très violents, des crimes sexuels et autres, et on ne peut pas décrire tous les sévices qu’un pédophile a faits à un enfant ou la façon détaillée qu’un meurtrier a poignardé sa victime. Si c’est vraiment nécessaire, peut-être donnera-t-on des détails, si c’est pertinent dans la défense de l’accusé, par exemple », partage le journaliste. Certains médias, dans des tueries ou des crimes violents, décideront de taire l’identité du coupable. « J’avoue que cette question-là m’embête. Ça ne cache pas réellement l’identité du criminel, parce qu’avec Internet, on peut souvent avoir accès à ces informations », estime Perron.
Pour le Dr. Morissette, maintenir l’anonymat de certains criminels est une question de prévention et de santé publique, même si les accusations ne sont pas régies par une ordonnance de non-publication. « Voir son nom dans le journal, même pour les mauvaises raisons, ça peut être attrayant. »
Pour le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) Michaël Nguyen, « la façon de traiter une nouvelle relève du choix éditorial de chaque média, et la FPJQ n’est pas là pour dire aux différents organes de presse comment couvrir tel ou tel événement » (Échange de courriels, 23 novembre 2020).
Sources
https://www.cem.ulaval.ca/wp-content/uploads/2019/08/cem-mediasquebecois-etatdeslieux.pdf
https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/201029/dq201029a-fra.htm?indid=4751-1&indgeo=0