Est-il réaliste de financer soi-même ses études avec un emploi à temps partiel ?

Pour le président de l’Union étudiante du Québec (UEQ), Philippe LeBel, il n’y a pas que le type d’emploi qui entre en ligne de compte dans l’acquittement des frais de scolarité : il y a tout un contexte à considérer. « C’est sûr que les histoires qui se rendent jusqu’à nous, ce sont les histoires d’horreur (Entrevue téléphonique, 3 octobre 2019) », explique LeBel, à la tête de cette union d’associations étudiantes universitaires. Il donne l’exemple d’une mère monoparentale étudiant à temps partiel et qui peine, malgré les revenus de son emploi, à faire vivre sa famille. Lebel explique par ailleurs que les données de l’AFE ne « discriminent par le travail fait durant l’été et celui fait durant les sessions ». Pour jeter un nouvel éclairage sur ces multiples facteurs, il indique que l’UEQ compte publier en 2020 une nouvelle recherche sur l’endettement étudiant, qui « croiser[ait] les données de revenus [tirés des emplois] et du coût de la vie moyen dans différentes régions », entre autres. Le doctorant en économie Charles-Guay Boutet, qui a signé en 2018 un mémoire de maîtrise sur l’endettement au Québec, fait aussi dans la nuance. « En théorie, c’est possible de travailler à un emploi typiquement étudiant, légèrement au-dessus du salaire minimum, et d’atteindre un niveau viable pour un étudiant (Entrevue téléphonique, 2 octobre 2019). » Or, Guay-Boutet rappelle que le nombre d’heures de travail hebdomadaires peut à la fois peser sur les résultats académiques et la santé psychologique de l’étudiant à temps complet. « Cet étudiant [qui travaille de 20 à 25 heures par semaine] ne part pas avec les mêmes chances qu’un autre qui habite chez ses parents et qui n’a pas besoin de travailler autant », souligne-t-il. En 2011, l’enquête de l’ICOPE, réalisée par la Direction de la recherche institutionnelle (DRI) de l’Université du Québec, indiquait qu’au-delà de 20 heures de travail rémunéré par semaine, l’étudiant au baccalauréat à temps complet devient plus à risque de quitter son établissement sans diplôme.

PC.jpg Vue de la manifestation historique du 22 mars 2012 à Montréal (La Presse canadienne)

Pour quels types d’étudiants la hausse des frais de scolarité fait-elle le plus mal?

« Un lien de corrélation existe entre la hausse des frais de scolarité et la hausse de l’endettement général », lance sans détour Charles Guay-Boutet. Le doctorant explique que cette corrélation ne s’applique pas pour les étudiants les plus défavorisés, considérant que ces derniers profitent principalement de bourses pour s’acquitter de leurs frais de scolarité. Or, il rappelle que, « pour l’essentiel des étudiants » qui bénéficient de l’aide financière aux études (AFE), cette dernière est principalement versée sous la forme de prêts. Ce sont ces étudiants, plus nombreux dans les salles de cours des universités, qui voient leur endettement s’accentuer au rythme de l’augmentation des frais de scolarité. L’indexation des frais de scolarité selon le coût de la vie – mesure du gouvernement de Pauline Marois en 2012 en réponse à l’augmentation pure et simple des frais de scolarité annoncée par le gouvernement de Jean Charest – s’inscrit dans cette logique, observe M. Guay-Boutet. Il n’est pas sans rappeler, cette année-là, les mobilisations étudiantes monstres aux quatre coins du Québec pour s’opposer à la hausse proposée par le gouvernement libéral. En 2015, la dette moyenne totale à l’AFE se chiffrait à 13 139 $ pour les étudiants au baccalauréat, sur des revenus annuels moyens de 9049 $, rappelle M. Guay-Boutet dans son mémoire, en se basant sur une enquête du gouvernement du Québec.

iStock.jpg iStock

Certaines dépenses importantes sont-elles absentes du calcul fait par l’AFE ?

Si la hausse des frais de scolarité est l’une des sources d’endettement des étudiants, elle est loin d’en être la principale. Selon le calcul du programme de l’AFE, la totalité des droits de scolarité est incluse dans les estimations de prêts. Un étudiant qui est admissible recevra donc en prêts l’entièreté de ses droits de scolarité. « Là où le gouvernement a du rattrapage à faire, c’est par rapport aux autres dépenses, soit les estimations de frais de logement et de coût de la vie », estime le président de l’UEQ. Selon une recherche menée par l’UEQ en 2018, 70 % des étudiants consacrent plus de 30 % de leur budget au paiement de leur loyer, soit un montant variant entre 301 $ et 600 $ par mois pour une seule personne. « Cette proportion place le paiement du loyer comme principale dépense dans le budget de l’étudiante et de l’étudiant moyen », peut-on lire dans la même étude. Ce qui vient ensuite, ce sont les dépenses liées au coût de la vie, comme « les coûts de transport, de stationnement, les frais liés à l’alimentation et les divers frais qui peuvent être encourus durant l’année scolaire », indique le rapport. 

71773928_1051830931856212_1169041985747550208_n.jpg Gabriel Bernier

Quelles sont les principales sources d’endettement des étudiants ?

En plus du programme de prêts et bourses québécois, plusieurs étudiants ont recours à l’aide financière privée. « Les institutions financières ne prennent aucun risque [dans le cas de prêt étudiant]. L’État, lui, prend toute la responsabilité des dettes », dit Guay-Boutet. En d’autres termes, l’État paie les intérêts durant les études et les étudiants doivent commencer à rembourser dès la fin de leurs études. « Tout au long de l’existence de la dette, la banque reçoit des intérêts. On parle de dizaines de millions de dollars par année en paiement d’intérêt seulement pour la Coopérative Desjardins », ajoute-t-il. Selon un rapport publié en 2018 par le Consortium canadien de recherche sur les étudiants universitaires, 93 % des étudiants ont au moins une carte de crédit et 21 % d’entre eux n’ont pas les moyens de payer le solde de leur compte à la fin du mois. La dette moyenne individuelle s’élève à 2771 $.

72624935_2439625496316228_1408473029381455872_n.jpg Gabriel Bernier

À quel point l’endettement étudiant contribue-t-il à une précarisation?

« Évidemment que l’endettement constitue un obstacle, soutient Guay-Boutet. Avec 20 000 $ de dettes, c’est plus difficile d’acheter une maison, de pourvoir aux biens nécessaires et d’assurer l’éducation d’un enfant dans les premières années de sa vie. » Selon, lui l’idée que les études sont un investissement rentable relève plus de la « poésie » que de « l’analyse sérieuse ». En comparaison, la plupart des travailleurs miniers en Abitibi-Témiscamingue ont des salaires supérieurs aux diplômés de l’Université de Montréal, souligne-t-il. Le président de l’UEQ observe la même dynamique en ce qui a trait à la poursuite des études. « De savoir que des gens, en raison de leur niveau d’endettement, ne poursuivront pas leurs études aux cycles supérieurs, c’est vraiment privilégier une partie de la population versus une autre », explique LeBel. Selon lui, une grande partie du « rattrapage financier » de la part du gouvernement doit se faire sur ce plan.

WC.jpg Un pavillon de l’Université Dalhousie, à Halifax, en Nouvelle-Écosse (Wikimedia Commons)

Les étudiants québécois sont-ils plus endettés que ceux du reste du Canada?

Les étudiants québécois sont moins endettés qu’ailleurs au Canada parce que leurs frais de scolarité sont inférieurs à ceux des autres provinces, à l’exception de Terre-Neuve, explique d’emblée Charles Guay-Boutet. En effet, dans cette province, les droits de scolarité s’élèvent à 3884 $ pour l’année en cours (2019-2020) pour les étudiants de premier cycle, alors qu’ils s’élèvent à 4005 $ au Québec, selon Statistique Canada. En comparaison, les droits de scolarité en Nouvelle-Écosse – les plus élevés au pays – sont de 9344 $ pour un étudiant de premier cycle. « Il y a une corrélation quasi directe entre frais de scolarité et niveau d’endettement », rappelle Guay-Boutet.

Sources :

https://archipel.uqam.ca/11558/1/M15518.pdf
http://www.uquebec.ca/dri/publications/rapports_de_recherche/Rapport_enquete_ICOPE_2011_web.pdf
https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=3710012101
http://www.afe.gouv.qc.ca/

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