Une hausse, mais où exactement ?

Les experts peinent à expliquer les données de l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues 2017 (ECTAD) publiée le 30 octobre 2018 par Santé Canada. Dans un recensement d’environ 16 000 répondants, le nombre de fumeurs de tabac aurait bondi de 18 % entre 2015 et 2017.

L’augmentation est bel et bien notable. La prévalence du tabagisme chez les fumeurs actuels est passée de 13% (3,9 millions de fumeurs) à 15 % (4,6 millions de fumeurs) depuis 2015. C’est un peu moins que la moyenne mondiale qui s’élèvait à 20 % en 2015.

Le taux de tabagisme était de 19,6 % au Québec en 2014. La consommation des produits du tabac au Canada diverge d’une province à l’autre. L’Ontario est la province qui consomme le moins de tabac au pays (16 %) contrairement à la Saskatchewan qui, elle, en consomme 22 %.

Les données de l’ECTAD montrent sommairement que la prévalence de la consommation de tabac quotidienne chez les adultes de 25 ans et plus a augmenté de 10 % à 12 %. «La consommation générale chez les jeunes est stable, mais le stress des conditions de vies des adultes peut expliquer pourquoi des gens se tournent encore vers la cigarette.», explique Claire Harvey, agente de communication au Conseil québécois sur le tabac et la santé. (Entrevue téléphonique, 6 novembre 2018)

Clopes-.jpg Laurent Corbeil

Les Canadiens recherchent-ils les bénéfices du tabac ailleurs ?

La hausse de la consommation des produits du tabac n’est pas un phénomène isolé, car il semblerait que les Canadiens consomment de plus en plus de drogues en général. Dans la dernière année, 4,5 millions de citoyens auraient consommé des drogues illicites soit une augmentation de près d’un million de citoyens (3,7 millions en 2015).

L’usage de produits pharmaceutiques psychoactifs est très répandu à travers le pays et dans certains cas, la consommation est à la hausse, notamment chez les stimulants tels que Ritalin, Concerta, etc. L’usage d’analgésique et de sédatifs est également très présent dans les habitudes de consommation des Canadiens. Bien que ces drogues ne soient pas dans la même catégorie que le tabac, le recours aux psychotropes émane souvent d’un besoin à réduire l’anxiété et le stress tout comme le tabac.

Clopes-095026.jpg Michaël Laforest

L’usage à la hausse du tabac est-il relié à d’autres drogues ?

La dépendance croisée, c’est lorsqu’une personne consomme plusieurs substances en même temps, que ce soit l’alcool, le cannabis ou la cigarette. Les personnes qui boivent une plus grande quantité de boissons alcoolisées ont tendance à être celles qui fument également plus selon les données de Statistique Canada.

91 % des Canadiens faisant l’usage du cannabis, quotidiennement ou non, fument la substance. Ce qui pose problème selon Claire Harvey, «parce qu’il est mélangé [dans certains cas] avec du tabac, donc il y a un risque de dépendance». Elle souligne que la fumée inhalée, peu importe la plante, est dommageable pour les poumons.

Les statistiques viennent d’ailleurs appuyer le propos de Claire Harvey. Le taux de tabagisme des consommateurs de cannabis était de 38 % , ce qui est plus de trois fois plus élevé que chez ceux qui n’en consomment pas. Même son de cloche dans le cas de l’alcool: 56% des fumeurs de marijuana sont considérés comme des grands buveurs, il s’agit ici aussi du triple des non-fumeurs (à 17 %).          

Clopes-205834.jpg Michaël Laforest

Comment diminuer le «noyau» de fumeurs ?

Au Québec, le projet de loi 44, adopté en 2015, a comme objectif principal de réduire de cinq points le pourcentage de fumeur en cinq ans. Le gouvernement fédéral souhaite, quant à lui, réduire la proportion à 5% d’ici 2035. Des cibles similaires, certes, mais qui seront difficilement atteignables si les ressources et les mesures nécessaires ne sont pas mises de l’avant. Plusieurs études démontrent de plus en plus qu’il y aurait un plafonnement quant à la prévalence du tabagisme. «C’est sur que ça prend des lois pour réduire l’usage du tabac au Québec […], mais il y a un noyau dur de fumeur dont les mesures actuelles ont atteint leur limite», explique Claire Harvey.

Les moyens afin de réduire ce fléau qui demeure toujours la principale cause de morts prématurées et de maladies évitables au Canada sont nombreux, mais l’augmentation des prix, des taxes ou encore la réduction de point de vente ne suffisent plus pour s’attaquer à ce «noyau». Baisser progressivement le taux de nicotine dans les produits du tabac serait une manière efficace de réduire le nombre de fumeurs.

L’agente du Conseil québécois sur le tabac et la santé croit qu’« il faut aussi se mettre à faire des programmes ciblés pour différents groupes, comme les milieux autochtones, les milieux défavorisés». Plus le nombre de fumeurs diminue, plus la tâche est ardue afin de cibler les mesures adéquates pour décourager la consommation chez ceux qui persistent à fumer.

Clopes-095351.jpg Michaël Laforest

La prévention est-elle efficace ?

Les mesures pour décourager les fumeurs de cigarettes se font sentir : la dissimulation des paquets derrière des panneaux, l’interdiction de fumer à moins de neuf mètres de l’entrée d’un établissement, les images de cancer apposé directement sur les paquets, etc. Ces mesures coercitives  ne toucheraient pas les jeunes selon le Dr Martin Juneau. 

« Si vous interdisez de façon très moralisatrice la consommation d’un produit, ça tente les adolescents. Les compagnies de tabac, sans les années 60, pour augmenter la consommation des adolescents, ils ont fait campagnes de sensibilisation dans les écoles en disant “surtout ne fumez pas” », expliquait le cardiologue en entrevue avec Paul Arcand (31 octobre 2018). Ces paquets aux images affreuses, les jeunes les collectionnent affirme le Dr Juneau, ça fonctionne avec les adultes, alors que ça stimule les plus jeunes.

Clopes-111151.jpg Michaël Laforest

S’agit-il d’une réalité ou d’un simple échantillonnage ?

Le bond de 18 % dans la consommation des produits du tabac est bel et bien un signe alarmant qui prouve dans une certaine mesure qu’il y a regain de popularité notable de ces produits au pays. Santé Canada ainsi que le Conseil québécois sur le tabac et la santé croient que les prochaines études et les recensements à venir pourront confirmer ou infirmer si la tendance quant à l’usage du tabac a bel et bien changé de cap.

«Ces résultats sont étonnants et il faut les regarder avec prudence, car ils ne sont peut-être pas aussi significatifs qu’on pourrait le croire», explique Claire Harvey. La marge d’erreur est un élément qu’il ne faut pas négliger puisqu’il est possible, non pas que la hausse soit exagérée, mais bien que les dernières études aient surévalué la baisse dans la consommation du tabac.

Sources : 

https://www.lapresse.ca/actualites/sante/201609/30/01-5025978-objectif-eradiquer-le-tabagisme-dici-a-2035.php
https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/enquete-canadienne-tabac-alcool-et-drogues/sommaire-2017.html
https://quebecsanstabac.ca/sites/default/files/inline-files/M%C3%A9moire_CQTS.pdf
http://www.msss.gouv.qc.ca/ministere/lois-et-reglements/loi-concernant-la-lutte-contre-le-tabagisme/
http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2017/17-228-01W.pdf
https://www.985fm.ca/emissions/puisqu-il-faut-se-lever/resume?fbclid=IwAR1zOLHN0ZXaivJsD_ojgm_1uGL1SLgbb3NCWWJRrp9-QsM-Ibaiwo1s08Y
https://www.planetoscope.com/drogues/402-consommation-mondiale-de-tabac-et-cigarettes.html

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