Comment les Québécois de la diaspora arménienne vivent le conflit ?

La diaspora arménienne dans le monde (6,5 millions) reste hantée par le génocide commis par l’Empire Ottoman qui a fait plus de 1,5 million de morts en 1915. La communauté arménienne de Montréal (25 à 30 000 membres) craint que le conflit actuel avec l’Azerbaïdjan ne conduise à un autre génocide et demande au Canada de prendre une position plus ferme pour soutenir le peuple arménien. « On a l’impression que nos vies n’ont pas d’importance, car le gouvernement canadien ne nous soutient pas assez. On voit sur les réseaux sociaux des photos de soldats d’Azerbaïdjan qui marchent avec des têtes décapitées dans leurs mains. C’est de la violence claire et nette et les gouvernements devraient agir. C’est non seulement du terrorisme pour gagner la terre, mais aussi une manière de finir le travail du génocide et mettre fin à l’ethnie arménienne. On refuse de vivre un autre 1915 », explique Lena Aroutunian, étudiante à Concordia en relations humaines. (Entretien téléphonique, 19 octobre 2020).

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Comment la communauté arménienne aide-t-elle à distance ?

De nombreuses manifestations ont eu lieu à Montréal, mais aussi un peu partout dans le monde depuis le début du mois d’octobre dans le but de mettre en lumière le conflit, et par la même occasion demander à Ottawa de condamner le rôle de l’Azerbaïdjan et de la Turquie dans celui-ci.

« Je suis ici et je ne peux rien faire. Je ne peux pas aller à la guerre, je ne peux pas aider sur place là-bas. Chaque nuit, je vais me coucher avec une question en tête : pourquoi eux et pas moi ? En tant qu’Arménienne, qui vit à Montréal, je veux faire quelque chose pour Artsakh », exprime Aroutunian.

« On sent une sorte de culpabilité de ne pas être en Arménie présentement.  On a tous des privilèges ici qu’eux n’ont pas », ajoute Sara Terzian, étudiante à Concordia en business international (Entretien téléphonique,19 octobre 2020)

C’est ainsi qu’est née une initiative des deux jeunes femmes. « On aime les vêtements on adore le shopping, on fait souvent le tri des vêtements dont on n’a plus besoin.  Durant ces temps difficiles pour l’Arménie, nous nous sommes dit que ce serait une bonne idée de vendre nos vêtements sur Instagram. Les clients pourront avoir de nouveaux vêtements à ajouter à leur garde-robe et nous, de notre côté, on collecte plus d’argent pour faire des donations à Artsakh. »

 « Il n’y a pas que moi et Sara qui avons amené des idées comme ça pour aider le pays. C’est vraiment tout le monde de la communauté qui s’est mobilisée, en essayant de faire preuve de beaucoup de créativité pour collecter des dons. » De nombreuses compagnies montréalaises promettent également des dons de 50 % de leurs profits sur certains produits à la Fondation arménienne. « On a aussi envoyé environ 800 courriels à Valérie Plante pour dénoncer ce qui se passe à Artsakh et nous avons assisté à des manifestations où on est sorti crier dans les rues. C’est des choses comme ça qu’on peut faire en tant qu’Arméniens qui vivent dans la diaspora », note Terzian.

Toutefois, il s’agit d’un ascenseur émotionnel pour les jeunes femmes, comme plusieurs autres dans la même situation. Malgré leur efforts et leur contribution, ce n’est jamais assez selon Lena Aroutunian. « Il y a des enfants de mon âge et même plus jeunes que moi qui sont forcés d’aller à la guerre sans comprendre pourquoi.  C’est vraiment difficile pour moi d’accepter le fait que je suis ici. Je suis dans ma maison, j’ai mon lit, tous les jours je peux manger des repas chauds, alors qu’eux sont en train de souffrir. Je pleure tout le temps parce que j’ai de la peine pour eux. Je me sens inutile. »

PHOTO: Wiam Dahbi

Quel est le statut du territoire d’Artsakh?

L’Artsakh, anciennement Haut-Karabagh, est une république autoproclamée à majorité arménienne située dans le Sud-Caucase, entre l’Azerbaïdjan, l’Arménie et l’Iran. La superficie du pays est d’environ 11 500 km² et sa population s’élèvait à 147,906 en 2019. Le conflit dans la région séparatiste perdure depuis des années faisant quelque 30 000 morts entre 1993 et 1994 . L’accord de cessez-le-feu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan est conclu en 1994, et met fin à la guerre.

Selon François Roch, professeur au département des sciences juridiques à l’UQAM, les frontières doivent être délimitées par traité, ce qui fait que les frontières actuelles entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan seraient des vieux traités territoriaux qui ont été actualisés au moment de la dissolution de l’URSS en 1991. « Quand l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont déclaré leur indépendance au moment de l’éclatement de l’URSS, le Haut-Karabakh a sensiblement fait la même chose. Sauf que cette déclaration-là n’a pas conduit à la création d’un nouvel État aussi facilement que pour l’Arménie et l’Azerbaïdjan c’est donc une entité qui est encore aujourd’hui très contestée. Pour beaucoup d’observateurs, cela reste les frontières internationales de l’Azerbaïdjan », précise-t-il. (Entretien téléphonique, 21 octobre 2020).

Bien que le Haut-Karabakh se retrouve officiellement dans les frontières de l’Azerbaïjan, c’est l’Arménie qui alimente le Haut-Karabagh selon Jacques Lévesque, professeur au département de science politique à l’UQAM. Cependant l’Arménie n’a jamais reconnu la région d’Artsakh comme étant indépendante car éventuellement, elle voudrait l’annexer. « Elle reçoit d’ailleurs des pressions de l’international pour ne pas aggraver le conflit », explique-t-il. (Entretien téléphonique, 22 octobre 2020).

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Qu’est-ce qui a déclenché les récents affrontements ?

La dernière grande flambée de violence avant les combats actuels date du début des années 90. Les hostilités ont éclaté de nouveau à la fin septembre, et s’expliqueraient entre autres par l’alliance de la Turquie avec l’Azerbaïdjan. L’aide militaire turque aurait considérablement augmenté dans les derniers mois avec la présence d’instructeurs turcs chargés d’informer et de conseiller les militaires de Bakou. « Des mercenaires sont venus de la Turquie pour s’impliquer dans le conflit et ainsi regagner les régions qui entourent le Haut-Karbakh et le Haut-Karabakh lui même », souligne Lévesque.

PHOTO AFP

Quelle est la position du gouvernement canadien face à ce conflit?

Le gouvernement canadien parle très peu du conflit. « Le gouvernement se contente de demander un cessez-le-feu sans prendre partie de façon très net », rapporte Lévesque. « C’est d’ailleurs surprenant qu’il n’y ait pas de réaction plus forte pour l’instant au Canada comme ailleurs dans le monde dans la diaspora arménienne. Bien sûr ça les inquiète, mais bizarrement, la mobilisation ne s’est pas faîte jusqu’à présent  », ajoute-t-il. 

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Quelles sont les perspectives d’avenir pour ces deux pays?

L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont intensifié la pression militaire l’un sur l’autre et n’auraient pas respecté le récent cessez-le-feu proclamé samedi le 17 octobre. Une semaine plus tôt, une première tentative de cessez-le-feu sous l’égide de Moscou avait également été ratée. Plusieurs craignent une guerre plus vaste impliquant la Turquie, proche de Bakou (la capitale de l’Azerbaïdjan) et la Russie, liée à Erevan (la capitale de l’Arménie) par un accord de défense.« Je pense que quand on regarde les dernières sorties publiques autant de l’Arménie que de l’Azerbaïdjan, les deux restent très ancrés sur leur position initiale et leurs premières revendications. Il n’y a pas beaucoup d’indices qui montrent que l’on approche bientôt d’un compromis », précise François Roch.

PHOTO REUTERS

Sources :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1741206/nagorny-karabakh-conflit-intensification-azerbaidjan-armenie-turquie-russie-frappes

http://www.nankr.am/en

https://www.osce.org/mg

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