Par Elisabeth Lacoste
Qu’entend-on par étendre la Charte de la langue officielle ?
Le projet de loi sur l’étendue de la Charte de la langue française du Québec, soumis au provincial par le ministre responsable de la Langue française, Simon Jolin Barrette, avance à grands pas. Le 14 septembre, le nouveau chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, a affirmé soutenir le français dans les entreprises d’expertise fédérale lors d’une rencontre avec le premier ministre du Québec, François Legault. La Charte de la langue française du Québec, ou mieux connue sous le nom de la loi 101, devrait être appliquée notamment, aux banques, aux compagnies ferroviaires, aéronautiques ainsi qu’à la poste et aux télécommunications. Au total, ce sont 1760 entreprises privées sous juridiction fédérale ,au Québec, qui ne sont pas soumises à la Charte de la Langue française du Québec. Ces données datées de 2013, sont les seuls chiffres rendus publics par Statistiques Canada.
« Pourquoi de grosses entreprises comme des banques ne sont-elles pas bilingues ? C’est tout à fait inéquitable », déplore le député conservateur de Louis-Saint-Laurent, Gérard Deltell, qui a fait remarquer que ce sont davantage les plus petites entreprises qui respectent la loi 101(Entretien téléphonique, le 18 septembre 2020). Par ailleurs, O’Toole a soulevé ce débat lors d’une réunion, qui s’est déroulée en français, selon Gérard Deltell, avec les membres du caucus qui ont voté à l’unanimité pour cette motion. Aussi, les quatre autres partis de la Chambre des communes à Ottawa l’on approuvé.
Le gouvernement fédéral soutient-il ce projet de loi ?
Le gouvernement libéral reste indécis sur l’imposition de la loi 101 dans les entreprises à compétence fédérale. Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a spécifié à ce propos que la santé des citoyens qui craignent la COVID-19 reste sa priorité. Pour Deltell, même si c’est un fait que la pandémie demeure un enjeu majeur, les libéraux doivent être en mesure, tôt ou tard, de se positionner sur la question. D’ailleurs, la ministre responsable des Langues officielles au fédéral, Mélanie Joly, n’a pas répondu aux questions relatives à ce sujet, mais elle a publié dans un communiqué: « […] on doit encore toujours plus protéger le français. Et puis en même temps, on doit être là pour faire respecter le bilinguisme au pays et protéger nos minorités linguistiques ».
Malgré tout, lors du discours du trône, mercredi, la gouverneure générale, Julie Payette, a soutenu que le gouvernement du Canada renforcera la Loi sur les langues officielles : « Le gouvernement du Canada a donc la responsabilité de protéger et de promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec. »
Étendre la loi 101 aurait-il pu se faire dans les années antérieures ?
« C’est certain que [étendre la loi 101] aurait pu se faire avant, par contre, les décisions évoluent et peut-être que ce n’était pas le moment de le faire parce qu’on n’était pas bien préparé », souligne Gérard Deltell. En effet, il y a près de 13 ans, le premier ministre du Québec à l’époque, Jean Charest, avait tenté de présenter ce projet au gouvernement fédéral, mais le résultat a été un échec. Ensuite, ce fut le même scénario en 2017 avec Philippe Couillard où le premier ministre Trudeau disait se concentrer surtout sur l’économie canadienne. Un an plus tard, la Coalition avenir Québec a mentionné qu’elle agirait pour imposer la Charte de la langue française aux entreprises à compétence fédérales d’ici 2021.
Est-ce envisageable que la Charte de la langue française n’intervienne pas dans les entreprises sous juridiction fédérale ?
Dans la mesure où le gouvernement Trudeau a refusé une première fois, il est probable que la francisation dans les compagnies sous juridiction fédérale ne se produise pas en 2021, comme promis par la CAQ. En revanche, le silence de Trudeau nourrit les hypothèses critiques, comme celle rapportée dans le Journal de Montréal par le candidat à la chefferie du Parti québécois, Frédéric Bastien: « Les innombrables refus d’Ottawa visent en réalité à empêcher tout débat constitutionnel pour mieux étouffer le mouvement souverainiste. » Quoi que le mouvement souverainiste ne soit pas le principal sujet du propos, l’hypothèse de Bastien a matière à débattre sur la décision de Trudeau qui ne démontre pas d’enthousiasme à l’idée d’imposer la loi 101 aux entreprises sous juridiction fédérale comptant cinquante employés et plus.
S’il y a d’autres moyens que de passer par Ottawa, le ministre Jolin-Barrette a soulevé qu’il regardait « les différentes modalités» qui s’offrent à lui pour permettre à ce projet de voir le jour. Pour le moment, rien n’a été suggéré encore et à cet effet, ses collègues de l’opposition, qui soutiennent ce projet, réagissent mal : « Il nous a expliqué sa recette, mais vous savez comme moi qu’en cuisine on peut avoir les bons ingrédients, mais ça peut goûter mauvais », note Martin Ouellet, leader parlementaire du Parti québécois.
Est-ce un bon moyen pour préserver le français ?
La propagation de la culture anglophone et les milieux de travail engendrent une diminution de la langue française. Un rapport mené par l’Office québécoise de la langue françaises, rapporte que 39 % des compagnies québécoises demandent à l’embauche d’avoir des compétences linguistiques en anglais, et à Montréal, le rapport indique que c’est plus de 60 % des compagnies.
Le juriste et professeur à la faculté de droit à l’Université McGill, Michael.N Bergman, reconnait qu’il y a un recul de la langue française à priori dans le grand Montréal. Or, il pense que cette initiative ne réussira pas à préserver la langue française dans la société puisque les compagnies à compétence fédérale, c’est du domaine politique (Entretien téléphonique, le 21 septembre 2020).
Est-ce nécessaire d’aborder la loi 101 en 2020 ?
Cette loi, rappelons-le, a été instaurée il y a 43 ans, soit le 26 août 1977, par René Lévesque afin de protéger la langue française en chute libre, notamment à Montréal dans le domaine du travail, comme l’a démontré l’Étude de l’OQLF. Le ministre Jolin-Barrette a montré la nécessité d’aborder la loi 101 en 2020, puisqu’il a proposé son plan d’action pour la langue française qui inclut la Charte de la langue française dans les entreprises sous juridiction fédérale à cinquante employés et plus. Plusieurs partis politiques, au provincial ou au fédéral, ont aussi reconnu cette nécessité d’aborder la loi 101 pour obtenir des solutions durables.
« Je me souviens de trouver ça normal de me promener sur la rue Sainte-Catherine et de voir des affiches écrites uniquement en anglais », dit Michael Bergman quand il parle de l’importance de la loi 101, qui, pour lui, a bouleversé le domaine juridique, politique, linguistique et culturel. « En ayant le français comme langue officielle, la loi 101 donne aux Québécois une identité forte. » En contrepartie, sans nier le fait qu’elle est, à son avis, la loi la plus importante au Québec et même au Canada il n’y a aucune nécessité pour Michael Bergman d’aborder la loi 101 en 2020 puisque son impact a déjà été fait et demeure indestructible.
Sources :
https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2020-09-07/les-moulins-a-vent.php
https://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/sociolinguistique/index.html
https://www.journaldemontreal.com/2020/09/21/loi-101-un-autre-camouflet-de-trudeau
https://www.journaldequebec.com/2020/09/18/lesquive-pitoyable-de-trudeau-sur-la-loi-101-1
https://www.ledevoir.com/politique/canada/585939/o-toole-en-faveur-d-un-elargissement-de-la-loi-101
https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2020-08-26/la-loi-101-source-de-fierte.php