Le droit à la réparation, c’est quoi ?

Alors que l’on parle beaucoup d’obsolescence programmée depuis de nombreuses années,  un nouveau phénomène s’installe autour des technologies qui sont dans notre quotidien : le droit à la réparation. L’obsolescence programmée est une « tendance qui n’est pas seulement liée aux technologies, mais aussi aux produits électroménagers et même aux meubles », explique Myriam Ertz, professeur au département des sciences économiques et administratives à l’Université du Québec à Chicoutimi et chercheure associée à l’Observatoire de la consommation responsable (entrevue téléphonique, mercredi 17 octobre). Dans ce contexte, le droit à la réparation, c’est la possibilité de réparer son appareil technologique, mais aussi ses électros ménagers, à moindre coût. Myriam Ertz explique que, pour elle, le droit à la réparation est « une utopie, même si une bonne solution ». D’après la spécialiste de la consommation responsable, le droit à la réparation est presque impossible face au nombre de technologies et d’appareils « dont certains sont beaucoup plus complexes que d’autres à réparer ».

pourquoimediarepair-5.jpg Martin Ouellet-Diotte

Comment les entreprises restreignent-elles les possibilités de réparations ?

Les méthodes sont variées, mais aussi très simples pour des entreprises qui contrôlent une grande part de marché. Il peut s’agir soit d’une barrière physique à la réparation, ou même d’un contrôle des pièces nécessaires à celle-ci. Les entreprises de technologies peuvent, par exemple, décider de souder certaines composantes électroniques qui n’ont pas besoin de l’être — ce qui rend la réparation plus risquée et plus difficile. Certaines entreprises, notamment Apple et John Deer, vont même parfois jusqu’à limiter l’accès à leur « outil diagnostique », en quelque sorte la « clef » pour s’attaquer à un problème logiciel. « Les entreprises c’est comme des enfants, il faut les surveiller en permanence ou elles font des conneries », martèle Damien Hallegatte, professeur de marketing à l’Université du Québec à Chicoutimi ( entrevue téléphonique,  17 octobre). Chaque fois qu’une entreprise fait le choix de ne pas rendre la pile d’un appareil accessible, de souder un disque dur sur une carte-mère ou de monopoliser les composantes d’un produit, il s’agit d’un obstacle à la réparation.

pourquoimediarepair-4.jpg Martin Ouellet-Diotte

Pourquoi certaines entreprises utilisent-elles cette stratégie ?

Le tout s’inscrit dans un contexte d’obsolescence programmée : la logique veut que si un consommateur ne peut pas faire réparer un produit à un coût raisonnable, il va sûrement s’en acheter un autre pour le remplacer. « Les compagnies sont là pour enrichir les actionnaires, le reste c’est de la poudre aux yeux », affirme Damien Hallegatte. La motivation est donc, avant tout, pécuniaire. La stratégie est d’ailleurs répandue, le professeur fait remarquer que très peu d’entreprises vantent la durabilité de leurs produits, même pour un prix supérieur, l’accent est mis avant tout sur la performance et la nouveauté.

pourquoimediarepair-1.jpg Martin Ouellet-Diotte

Comment les gouvernements peuvent-ils lutter contre ce phénomène ?

D’après Myriam Ertz, il ne faudrait pas légiférer trop rapidement et trop durement en imposant le droit à la réparation. Il faudrait d’abord « amener le sujet, préparer les gens et les fabricants, mais aussi éduquer les clients ».
Cela pourrait se faire d’après elle sur un modèle européen qui existe depuis 1995 : l’étiquette énergie. Cette étiquette « a été conçue pour fournir aux consommateurs des informations justes, identifiables et comparables sur la consommation d’énergie, les performances et d’autres caractéristiques essentielles des appareils électroménagers » avec un système de notation allant de A++ à G, explique sur son site le Comité européen des constructeurs d’équipement domestique (CECED). C’est sur un système basé sur le modèle européen que Myriam Ertz aimerait voir au Québec et au Canada: un « indice réparabilité possible avec des notes allant par exemple de A à E ».

pourquoimediarepair-6.jpg Martin Ouellet-Diotte

Quel pouvoir ont les citoyens ?

Plusieurs chemins peuvent être empruntés par les citoyens afin de continuer leur lutte contre l’obsolescence  programmée et pour défendre le droit à la réparation. Myriam Ertz explique que, dans un premier temps, la première et unique lutte que peut mener un citoyen seul, c’est « de se débrouiller pour réparer et pour se former en allant regarder des vidéos, des tutos sur internet ». Ensuite, pour la professeure « l’impact est beaucoup plus fort lorsque c’est un regroupement de citoyens ». Pour changer les choses rapidement et montrer le mécontentement des consommateurs face aux pratiques des entreprises, « le boycottage des consommateurs, les recours collectifs et l’achat, par exemple, de versions antérieures des produits » sont de bonnes solutions. Les consommateurs doivent aussi prendre conscience que leur droit à un produit de qualité va au-delà de la garantie émise par le manufacturier, celle-ci n’a pas une valeur juridique et n’abrite pas l’entreprise des poursuites en lien avec la durabilité du produit. Les citoyens peuvent aussi entreprendre de vérifier le degré de réparabilité de leurs produits avant de les acheter grâce à certains sites internet.

pourquoimediarepair-1.jpg Clara Loiseau

Peut-on prévoir un changement dans un avenir rapproché ?

Pour Damien Hallegatte, le changement est souhaitable, mais il concerne les structures de la société et notre manière de consommer : « Quand on va faire un achat, on pense à la performance, au prix, l’éthique prend bien souvent le bord. » Avec l’éveil aux problèmes environnementaux et à la décroissance, de plus en plus de citoyens se questionnent tout de même sur leur mode de consommation, mais cela ne semble pas se refléter sur le chiffre d’affaires des entreprises fautives. Les grands fabricants de téléphones intelligents continuent de battre des records de ventes, malgré un degré de réparabilité qui diminue d’année en année. Pour Myriam Ertz, le changement doit se faire lentement mais sûrement, le modèle actuel n’est pas viable pour la société, comme pour l’environnement. « Si les entreprises comme Apple ne changent pas leurs pratiques actuelles, elles vont droit vers un mur ».

Sources :

Olivia Solon, publié le 6 mars 2017, «A right to repair: why Nebraska farmers are taking on John Deere and Apple», https://www.theguardian.com/environment/2017/mar/06/nebraska-farmers-right-to-repair-john-deere-apple

Entrevue téléphonique avec Myriam Ertz, le mercredi 17 octobre 2018.

Entrevue téléphonique avec Damien Hallegatte, le mercredi 17 octobre 2018.

Rapport Equiterre, publié le 24 mai 2018«Obsolescence des appareils électroménagers et électroniques : quel rôle pour le consommateur ?», https://www.halteobsolescence.org/wp-content/uploads/2018/06/Rapport-ObsoFR_Final.pdf

https://www.ifixit.com/

Comité Européen des Constructeurs d’Équipement Domestique, Nouveau label énergétique, http://www.newenergylabel.com/fr/purpose

Maxime Johnson, publié le 6 juillet 2018, «Un indice de réparabilité pour contrer l’obsolescence», https://lactualite.com/techno/2018/07/06/un-indice-de-reparabilite-pour-contrer-lobsolescence/

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