Pourquoi la compagnie Garda World souhaite-t-elle acheter G4S ?
La compagnie québécoise de sécurité Garda World fait les démarches pour acheter G4S, ce géant mondial de sécurité et de transport de valeur par camion blindé. « C’est l’occasion pour Garda de consolider son rang numéro un en sécurité », explique Michel Nadeau, expert-conseil à l’Institut sur la gouvernance (Entretien téléphonique 23 novembre 2020). En 1995, l’entrepreneur québécois Stéphan Crétier fonde le Groupe de sécurité Trans-Québec et en 1999, sa compagnie deviendra Garda World. Aujourd’hui, elle emploie, à travers cinq continents, 150 000 personnes, dont 16 000 au Québec. Le nombre d’employé concentré dans la province surpasse Québecor, Air Canada, la SAQ, Ubisoft ainsi que Jean Coutu. Les deux entreprises de sécurité, qui ont le même profil, sont présentes à l’étranger. Ils se spécialisent notamment dans les activités paramilitaires et ils peuvent aussi surveiller des prisonniers. G4S est actif dans 85 pays, et Garda World, dans près de 50 pays. L’entreprise anglaise G4S, dont le siège social est à Londres, emploie 610 000, et elle est quatre fois plus grosse que Garda.
Le président fondateur et chef de la direction de Garda World, Stéphan Crétier, affirme qu’il doit détenir G4S. Il a souligné en entrevue à Radio-Canada, avec Patrice Roy, qu’il ne peut pas perdre ce combat. En effet, rien n’est gagné d’avance, puisqu’une compagnie de sécurité américaine, Allied Universal Security, tente aussi d’acheter G4S. 200 000 personnes travaillent chez Allied Universal Security, mais leurs activités se concentrent exclusivement en Amérique du Nord. Par contre, la compagnie américaine Brinks, dans laquelle Power Corporation est actionnaire, est un joueur indélogeable pour Garda avec ses 13 000 salariés. Brinks a fait l’acquisition des activités de G4S en Belgique, au Pays-Bas, à Hong-Kong et en Irlande. Elle avait fait scandale au Québec, en 1970, avec cet évènement qu’on nommera « Le coup de la Brinks », ou neuf camions blindés transportaient du matériel de la banque Royal-Trust à Montréal, pour se rendre à Toronto. Ce coup fut monté par des riches de la communauté anglophone, qui craignait une fuite des capitaux, si le Parti québécois, ce parti souverainiste qui venait d’être fondé, est élu.
En quoi la Caisse de dépôt et placements du Québec nuirait-elle à Garda ?
Depuis l’an dernier, la Caisse de dépôt et placements du Québec (CDPQ) est actionnaire à 35 % dans la compagnie Allied Universal Security. Stéphan Crétier a déclaré que la CDPQ « nuit » à Garda. Selon lui, elle appuie son compétiteur américain à acheter G4S, alors que le mandat de la CDPQ est de soutenir les entreprises québécoises. Malgré de nombreux appels et courriels, la CDPQ n’a pas pas voulu répondre à nos questions. Or, le 16 novembre 2020, suite à l’entrevue qu’il a donnée à Radio-Canada au journaliste Patrice Roy, où il a tenu ces propos, la CDPQ a envoyé une mise en demeure à Stéphan Crétier. Selon eux, cette entrevue est une « nouvelle salve du procès d’intention que livre Garda à la Caisse sur la place publique depuis plusieurs semaines ». En revanche, Garda a refusé une offre de la CDPQ, d’un milliard $ US pour acheter G4S. « Garda aurait peut-être eu intérêt à accepter l’aide de la Caisse, mais ils ont voulu faire autrement », note Gérard Bérubé, journaliste économique au Devoir (Échanges de courriels 23 novembre 2020). En effet, selon La Presse canadienne, la compagnie québécoise aurait accepté une offre d’un syndicat bancaire ainsi qu’une proposition de la société d’investissement américaine HPS Investment Partners. Garda est souvent critiquée d’avoir comme principal actionnaire un Fonds d’investissement anglais qui détient près de 50 % des parts de la compagnie québécoise.
Est-ce un avantage pour Allied Universal Security d’avoir comme actionnaire la CDPQ ?
La Caisse de dépôt et placement du Québec génère 300 milliards de profit et elle est surnommée le bas de laine des Québécois, puisqu’elle fait vivre des entreprises au Québec et au Canada, dans différents milieux. Gérard Bérubé mentionne que « Dans de telles manœuvres, la présence de la Caisse est généralement un plus ». En revanche, Allied Universal Security n’est pas avantagé d’avoir la CDPQ comme actionnaire minoritaire, pour acheter G4S, puisque la Caisse n’a pas de pouvoir sur les offres d’achat que la compagnie américaine fera prochainement.
Allied Universal Security et Garda World ont déjà soumis une offre à G4S, soit 5,2 milliards CAD pour Garda et 5,7 milliards CAD, pour Allied Universal Security: « C’est normal que G4S refuse des offres comme celles-ci, parce que c’est beaucoup trop bas », affirme Michel Nadeau. En effet, ces deux offres ont été déclinées par G4S. Pour le moment, aucune autre offre n’a été soumise par ces deux concurrents. Cependant, la joute continue en coulisse et plusieurs scénarios sont plausibles. « Tout dépend des prochaines offres, mais Garda va peut-être gagner en mettant une offre qu’Allied ne sera pas en mesure d’appuyer », prédit Michel Nadeau.
Le gouvernement s’est-il exprimé sur le partenariat entre la CDPQ et Allied ?
Stéphan Crétier s’est adressé à maintes reprises au gouvernement provincial, dans les médias, afin qu’il agisse pour que la Caisse de dépôt et placement du Québec ne soit pas un opposant à Garda. Le ministre de l’Économie du Québec, Pierre Fitzgibon a réagi et il encourage la compagnie québécoise à acheter G4S. Il a affirmé que ce serait « très bon pour le Québec » et qu’il « faut que ça arrive ». Par contre, la question se pose à savoir si la CDPQ a pris une bonne décision en étant actionnaire du principal concurrent de Garda. Pour le ministre Pierre Fitzgibon, c’est regrettable, mais la Caisse est tout à fait libre d’investir où ils veulent. Par ailleurs, pour venir en aide à Garda, le ministre de l’Économie a sollicité Investissement Québec. Quant à François Legault, premier ministre du Québec, il s’est abstenu d’émettre un commentaire sur l’enjeu entre la CDPQ et Garda.
Pour quelle raison ces compagnies font-elles des offres d’achat à G4S ?
Le but d’acquérir G4S, pour Allied Universal Security et Garda, est avant tout d’être mondialement reconnu comme étant la compagnie numéro un en sécurité. La raison pour laquelle les offres d’achat se font maintenant, c’est que G4S n’aurait pas respecté les principes environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), qui sont primordiaux dans le domaine de la sécurité. Cette problématique a provoqué un faible rendement de la compagnie. G4S a notamment été accusé de faire des séances de torture dans les prisons de Guantanamo. D’ailleurs, Stéphan Crétier s’est demandé pourquoi la CDPQ voudrait être reliée à une compagnie participant à de nombreux scandales. Garda pense pouvoir prendre le risque, afin de restaurer l’image internationale de G4S.
Qu’arriverait-il si Garda ne devient pas la plus grande multinationale en sécurité ?
Stéphan Crétier a soumis l’hypothèse que sa compagnie pourrait être achetée à l’étranger si G4S choisit une offre d’achat d’Allied Universal Security et empêcherait, du même coup, la compagnie québécoise de devenir la plus grande multinationale en sécurité. Or, la vente de G4S serait favorable à la compagnie américaine, dans la mesure où cette acquisition lui permettrait d’avoir une clientèle à l’international. Michel Nadeau pense que dans l’éventualité que ce scénario se produise, il n’y aurait pas d’impact majeur pour Garda : « Stéphan Crétier pense que sa compagnie sera en danger, mais en réalité il n’y a aucun problème », évoque-t-il. « Garda est en bonne position dans l’industrie de la sécurité, et elle le restera quoi qu’il arrive. ». Toutefois, dans le cas contraire, Garda serait la plus grande multinationale de sécurité, établie à Montréal, et le nombre d’employés augmenterait à 650 000. De plus, Stéphan Crétier souhaite acquérir l’ancien siège social de la compagnie de chaussures Aldo, à Saint-Laurent, pour y faire un centre de formation. Garda délogera là-bas 450 employés du siège social de Garda à Griffintown.
Sources
G4S: le ton monte entre Garda et la Caisse de dépôt | Le Devoir
Le conflit entre GardaWorld et la Caisse de dépôt expliqué | Le Devoir
Garda dénonce une mise en demeure de la CDPQ | Le Devoir
Affrontement Garda-Caisse de dépôt | Le Devoir
GardaWorld | Services de sécurité | Transport de valeurs
GardaWorld confirme son offre d’environ 5,2 milliards $US pour G4S | Le Devoir
GardaWorld confirme son offre d’environ 5,2 milliards $US pour G4S | Le Devoir
GardaWorld change de mains | Le Devoir
La multinationale québécoise GardaWorld a les yeux sur le géant britannique G4S | Le Devoir
Garda soutient que la Caisse de dépôt tente de l’intimider | JDM (journaldemontreal.com)
Le conflit s’envenime entre Garda et la Caisse (lapresse.ca)
BC Partners — Wikipédia (wikipedia.org)
Conflit avec Garda | L’examen de conscience de la Caisse (lapresse.ca)