En quoi consiste la Loi 2 adoptée par le gouvernement Legault ?

Mardi le 29 octobre, le gouvernement Legault a adopté la loi 2 qui restreindra l’encadrement du cannabis partout au Québec; à 64 voix contre 43, sans l’appui des partis d’opposition. Il sera désormais interdit d’en consommer sur la voie publique – tout en laissant une marge de manoeuvre aux municipalités – et d’en cultiver chez soi à des fins récréatives. Toutefois, l’aspect de cette loi qui suscite la controverse est sa hausse de l’âge légal de la consommation de la substance, qui passera de 18 à 21 ans dès le 1er janvier 2020. La CAQ repectera ainsi une autre de ses promesses qu’elle avait faite à son électorat lors des élections de 2018.

« Le but de la loi, c’était vraiment de donner un espace tampon entre les adolescents et la consommation ou l’achat de cannabis. On veut retarder l’initiation à la consommation du cannabis », a déclaré le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux Lionel Carmant. Ce dernier souhaitait augmenter l’âge légal de la consommation de cannabis dès que la substance a été légalisée au Canada en octobre 2018, craignant ses potentiels effets nocifs sur la santé mentale des jeunes. Ce sera chose faite, le Québec deviendra la province canadienne la plus restrictive dans son encadrement de la substance; avec un âge légal de consommation identique à celui demandé par les États américains qui ont aussi légalisé la substance, comme le Colorado et l’État de Washington. 

20191106_152739.jpg Félix Poncelet-Marsan

Comment les jeunes consommateurs seront concrètement affectés par la loi 2 ?

Selon les données recueillies par l’Enquête québécoise sur le cannabis (EQC) menée en 2018, les jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans constituaient le groupe de consommateurs de cannabis le plus large: 36,5 % d’entre eux en consomment, 11,9 % d’entre eux en consomment tous les jours. Les jeunes de 18 à 20 ans faisant partie de ce groupe ne pourront plus acheter leur marijuana aux succursales de la Société québécoise du cannabis (SQDC) à partir du 1er janvier 2020. Privés légalement de se procurer leur substance, ces consommateurs iront selon toutes probabilités chercher du cannabis chez des revendeurs associés au crime organisé; tout comme ils le faisaient avant la légalisation du cannabis. Résultat : les consommateurs ne consommeront plus des produits dont la fabrication est contrôlée, mais des produits aux contenus inconnus et potentiellement beaucoup plus nocifs.

« Les effets potentiellement neurotoxiques sont surtout dus au THC [contenu dans le cannabis] », explique Jean-Sébastien Fallu; professeur agrégé et enseignant en prévention de la toxicomanie à l’Université de Montréal.(Entretien téléphonique, le 5 novembre). « Avoir accès à du cannabis dont on connaît la teneur en THC, dans un contexte dans lequel on peut choisir des produits à plus faible teneur, ben c’est un avantage; tandis que sur le marché illégal […] on sait pas ce qu’il y a là-dedans. Puis c’est pas juste une question de THC: c’est une question de pesticides, d’insecticides, d’engrais chimiques, de métaux lourds, de moisissures; qu’on peut retrouver dans les produits sur le marché illégal, qui eux-mêmes ont parfois des effets neurotoxiques. »

Bien que Lionel Carmant voulait protéger les jeunes des effets neurotoxiques du cannabis en leur interdisant légalement de s’en procurer, il a plutôt empêché ces derniers d’avoir accès à de la marijuana dont la qualité est contrôlée. Le porte-parole libéral en matière de santé André Fortin a souligné cette erreur en communiqué de presse, déclarant qu’alors que le ministre « affirme vouloir protéger les jeunes, il en laisse tomber plus de 110 000 avec son projet de loi ».

20191106_230013.jpg Félix Poncelet-Marsan

Est-ce que hausser l’âge légal va à l’encontre de l’objectif de la légalisation ?

L’Association québécoise de l’industrie du cannabis (AQIC) a annoncé sa déception après l’adoption de la loi 2, soutenant que le gouvernement du Québec avait choisi de « pousser les consommateurs les plus vulnérables vers le marché noir ». Selon l’Association, le gouvernement québécois est allé à l’encontre d’un des objectifs majeurs de la légalisation de la marijuana: « La protection du public par l’offre de produits de qualité rigoureusement contrôlés et l’éradication du marché noir. » De son côté, André Fortin a même félicité sarcastiquement le ministre Lionel Carmant « d’assurer l’avenir financier du crime organisé ».

Noémie Gonthier, consommatrice occasionnelle de cannabis, confirme ces craintes de l’opposition et de l’AQIC, prenant en exemple ces connaissances qui sont plus dépendantes à la substance. « Un consommateur régulier, c’est sûr qu’il va tellement en vouloir qu’il va aller en chercher sur la rue, sur le marché noir. […] Ces personnes-là elles vont pas se gêner pour aller chercher [leur cannabis] ailleurs. […] je pense que si leur raisonnement [à la CAQ] c’était pour protéger la jeune population de consommateurs, c’est un coup qui a été manqué. »

20191101_224955.jpg Félix Poncelet-Marsan

Hausser l’âge légal de consommation du cannabis peut-il avoir des effets positifs ?

Tout comme n’importe-quelle drogue, le cannabis peut avoir des effets néfastes sur ses consommateurs réguliers. Il a été prouvé que le cannabis – si consommé en grande quantité sur de longues périodes de temps – pouvait être dommageable sur les cerveaux en développement; qui se termine en général à l’âge de 25 ans. « Moi je travaille avec des jeunes qui ont des maladies mentales sévères ou des troubles psychotiques, comme la schizophrénie, la maladie bipolaire », expliquait la docteure Amal Abdel-Baki sur les ondes de Tout le monde en parle le 3 novembre. « Y a plus de la moitié d’entre eux qui sont dépendants au cannabis, que c’est souvent une cause qui a déclenché la maladie et qui la perpétue. »

Toutefois, selon Jean-Sébastien Fallu, hausser l’âge légal de la consommation de la substance ne constitue pas une solution à ce problème. « Ça c’est bien clair là : la très large – mais absolument très large – majorité des jeunes qui consomment entre 18 et 21 ans consommaient avant la légalisation, puis ils vont continuer de consommer après cet interdit-là. […] Il y en a peut-être une minorité – une très petite minorité – qui vont cesser ou qui consommeront pas […], mais c’est tellement minime, et c’est surtout justement les jeunes qui sont les moins à risque [de développer des problèmes de santé mentale]. »

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Pourquoi ne pas hausser l’âge légal de consommation d’autres substances ?

« Moi ce que je trouve ridicule, c’est que l’âge minimal pour la consommation d’alcool n’a pas bougé et reste à 18 ans », explique Noémie Gonthier,. En effet, bien que ce projet de loi a pour but premier de protéger les jeunes et de retarder leur initiation à des substances potentiellement nocives, seul le cannabis y est concerné. Le gouvernement Legault ne semble pas démontrer d’intérêt à restreindre l’encadrement d’autres substances plus accessibles aux jeunes, l’alcool et le tabac notamment.

Selon Jean-Sébastien Fallu, le cannabis serait même généralement moins dangereux que l’alcool. « Si on veut interdire le cannabis avant 21 ans, il n’y a absolument aucune raison autre que politique ou culturelle d’avoir accès à l’alcool avant », ajoute-t-il. Pour lui, cette fixation sur la dangerosité du cannabis découle de « décennies [de] propagande anti-drogue qui désinforme le public sur les drogues en général, puis sur le cannabis en particulier. »

5638ad19-8d66-4c43-a515-5ae2f1601e2b_16x9_WEB.jpg TVA Nouvelles

Le gouvernement Legault fait-il preuve d’une attitude paternaliste ?

L’opposition reproche au premier ministre et au ministre de la Santé une certaine attitude paternaliste envers les jeunes consommateurs. Ce constat est partagé par Jean-Sébastien Fallu, qui soutient que la majorité au Québec est fixée à 18 ans et qu’il devrait en être autant pour la consommation de marijuana. « On peut à 18 ans prendre toutes sortes de décisions risquées, des comportements risqués; que ce soit acheter de l’alcool, mais aussi s’acheter une maison, se marier, prendre une carte de crédit, s’enrôler dans l’armée […]. Mais […] on serait pas capables à 18 ans de prendre des décisions sur la question du cannabis ? Pour tout le reste oui, mais pas pour le cannabis ? C’est extrêmement paternaliste. »

Gabriel Nadeau-Dubois, député de Québec solidaire, a également accusé le gouvernement de créer deux catégories d’adultes: « Les adultes de plus de 21 ans, et ceux d’entre 18 et 21 ans, qui deviennent à partir d’aujourd’hui  »des demi-adultes ». » Il a déclaré à l’Assemblée nationale que la CAQ se comportait « comme un vieux mononcle qui pense mieux savoir qu’eux ce qui est bon pour [les jeunes].

Sources

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1367105/cannabis-age-legal-quebec-21-ans-janvier-caq-lionel-carmant

https://ici.radio-canada.ca/tele/tout-le-monde-en-parle/site/segments/entrevue/140478/age-legal-consommation-cannabis-21-ans-marie-eve-morin-amal-abdel-baki?isAutoPlay=1

https://www.ledevoir.com/politique/quebec/565866/l-age-legal-pour-consommer-du-cannabis-hausse-a-21-ans-le-1er-janvier-2020

https://www.lapresse.ca/actualites/politique/201910/29/01-5247468-cannabis-au-quebec-lage-legal-passera-a-21-ans.php

https://encadrementcannabis.gouv.qc.ca/le-cannabis/donnees-statistiques/

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