Qu’est-ce que l’ère post-antibiotiques ?

Des chercheurs du Département de microbiologie de l’Université de Sherbrooke ont découvert une nouvelle classe d’antibiotiques en 2019 et cette innovation est fondamentale dans le monde médical. L’un des plus grands progrès du XXe siècle est le développement d’antibiotiques, ceux-ci ont sans équivoque amélioré la qualité de la santé humaine et animale en permettant la guérison de plusieurs infections bactériennes graves, par exemple, certaines otites, angines, infections de la peau (panaris, abcès), diarrhées, infections urinaires et génitales.

Entrer dans l’ère post-antibiotiques signifie que le traitement des infections deviendra difficile, voire impossible, à cause de souches bactériennes trop puissantes, qui auront acquis un bagage génétique résistant à tous les antibiotiques connus. 

« C’est déjà arrivé, on a observé quelques cas aux États-Unis et en Chine d’infections bactériennes multirésistantes donc incurables », explique Vincent Burrus, professeur au Département de biologie de l’Université de Sherbrooke (entrevue téléphonique, 1er octobre).  Le danger, c’est que l’appareil médical soit à court de thérapies à administrer et que des patients meurent par manque de ressources.

Screenshot (5).png François-Alexis Favreau

Comment fonctionnent les antibiotiques ?

L’antibiotique est une molécule chimique qui va interférer avec le métabolisme d’une bactérie. Les modes d’action des grandes classes d’antibiotique vont soit chercher à arrêter la prolifération des bactéries (bactériostatique), soit tuer les bactéries (bactéricide), rappelle Marc-Olivier Frégeau de l’Association pour l’enseignement de la science et de la technologie au Québec (entrevue téléphonique, 2 octobre).

Pour traiter une infection bactérienne, par exemple une otite, on utilise des antibiotiques, tandis qu’une infection virale, comme le rhume, se soigne grâce à des antiviraux ou se résorbe d’elle-même. Lorsqu’un médecin prescrit un antibiotique, le patient doit poursuivre son traitement jusqu’à la fin, « bien que cette affirmation fasse de moins en moins le consensus dans la communauté médicale », nuance Frégeau. Sans quoi, des bactéries restantes risquent de développer une résistance à l’antibiotique utilisé et ainsi, deviennent multirésistantes, ce phénomène est appelé pharmacorésistance.

Screenshot (6).png François-Alexis Favreau

Comment se propage la résistance aux antibiotiques ?

L’usage des antibiotiques, que ce soit à bon ou à mauvais escient, a accéléré le développement de la résistance des bactéries à ces médicaments, ce qui a débouché sur la situation actuelle, caractérisée par des niveaux record d’antibiorésistance, lit-on sur le site de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). 

Les bactéries et les autres micro-organismes acquièrent une résistance aux médicaments employés pour les traiter. L’observation de ce phénomène est documentée. L’exemple du choléra est probant, jusque dans le milieu des années 80, on ne connaissait pas de Vibrio choleræ résistant aux antibiotiques, de nos jours, « […] on pense notamment à l’épidémie de choléra à Haïti, et celle au Yémen, étaient causées par des bactéries multirésistantes aux antibiotiques. Quelque chose s’est passé au niveau de l’environnement, probablement dû à l’activité humaine, on pense à l’utilisation prophylactique [ou préventive] d’antibiotiques », évoque Burrus.

Screenshot (8).png Photo : Stock

Chez les animaux d’élevage, doit-on administrer des antibiotiques ?

Le recours aux antibiotiques comme facteur de croissance est à bannir dans l’engraissement des animaux, affirme Vincent Burrus mais « l’utilisation des antibiotiques pour l’élevage, en particulier bovin et porcin, dans le cas d’infections, est tout à fait normal ». En Europe, il est interdit de gaver son bétail d’antibiotiques pour le faire grossir plus vite, mais ce n’est pas le cas en Chine. Cette opposition détériore la cohésion mondiale pour un usage efficace des antibiotiques. Au Canada, l’utilisation des antimicrobiens pour l’élevage est limitée à certaines classes consacrées aux animaux et doit être approuvée par un vétérinaire.

La corrélation entre l’utilisation de céphalosporine, un médicament essentiel dans l’élevage de la volaille et l’augmentation de la résistance dans des cas de salmonellose chez des patients a poussé l’industrie canadienne du poulet à interdire son utilisation en 2014. Cette intervention réussie a entraîné une diminution des niveaux de résistance, note l’agence de la santé publique du Canada dans son rapport.

Screenshot (4).png François-Alexis Favreau

Le Canada peut-il lutter contre la résistance aux antimicrobiens ?

Le gouvernement fédéral participe aux efforts mondiaux visant à combattre la résistance aux antibiotiques et s’est engagé à apporter un soutien multisectoriel à la mise en œuvre du Plan d’action mondial sur la résistance aux antimicrobiens de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), dévoilait le gouvernement libéral dans un rapport intitulé Lutter contre la résistance aux antimicrobiens et optimiser leur utilisation (2017). 

Cependant les faits parlent d’eux-mêmes : les cliniciens canadiens prescrivent 33 % plus d’antibiotiques que les cliniciens des Pays-Bas, de la Suède et de l’Allemagne. De plus, dans les pays de l’OCDE, trois ordonnances d’antibiotiques sur cinq concernaient des diagnostics jugés inappropriés, tels que le rhume et les symptômes connexes, souligne Harpa Isfeld-Kiely, porte-parole de la semaine de la sensibilisation aux antibiotiques qui se tiendra du 18 au 24 novembre 2019 (échange de courriels le 2 octobre).

Quoi qu’il en soit, le Canada doit miser sur l’approche multisectorielle de son cadre d’action, puisque les systèmes permettant aux bactéries d’échanger leur matériel génétique et par le fait même de développer une résistance accrue aux antibiotiques sont trop nombreux, impossible de trouver une seule solution, conclut Vincent Burrus, lui-même spécialiste des mécanismes moléculaires de propagation des résistances aux antibiotiques. 

Sources :

CANADA : 

https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/publications/medicaments-et-produits-sante/lutter-contre-resistance-antimicrobiens-optimiser-utilisation-cadre-action-pancanadien.html
https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/publications/medicaments-et-produits-sante/systeme-canadien-surveillance-resistance-antimicrobiens-2017-rapport-resume.html
https://www.ledevoir.com/societe/sante/531097/la-resistance-aux-antimicrobiens-est-en-hausse-au-canada-et-dans-le-monde
https://www.lapresse.ca/actualites/sante/201303/16/01-4631708-vers-une-ere-postantibiotique.php

OMS :

https://www.who.int/campaigns/world-antibiotic-awareness-week/fr/
https://www.who.int/drugresistance/documents/situationanalysis/fr/
https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/r%C3%A9sistance-aux-antibiotiques
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/164423/WHO_HSE_PED_AIP_2015.1_fre.pdf;jsessionid=D6E438C094AD1EDFC0C9BA26131FC7E0?sequence=1

Animaux d’élevage et antibiotiques :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelles/special/2018/03/antibiotiques-animaux-elevage-resistance-bacteries-sante-canada-porc-poulet/

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