Félix Desjardins

Est-ce que les eaux usées sont un vecteur de transmission de la COVID-19?

La COVID-19 est un virus bien particulier, selon le professeur au département de biologie médicale de l’Université du Québec à Trois-Rivières Lionel Barthoux (Entretien téléphonique, 21 octobre 2020). « Le virus de la COVID-19 est intéressant parce qu’il est transmis par inhalation mais peut produire une infection secondaire dans le système digestif », explique-t-il. On peut donc bel et bien retrouver des traces du coronavirus dans les selles des gens qui sont infectés, sans que ce soit une science exacte pour autant. « Dans les études qu’on a faits à Trois-Rivières, on en trouvait dans les selles d’environ la moitié des gens chez qui on en trouvait dans le système respiratoire, détaille Barthoux. Ce n’est pas généralisé. » Le post-doctorant en rétrovirologie ajoute aussi qu’on ne retrouve qu’on ne retrouve qu’une portion du génome du virus dans les eaux usées, ce qui ne met pas en danger les travailleurs de laboratoire ou de station d’épuration d’eau. « Cette présence du virus dans les eaux usées, il faut davantage voir ça comme une piste intéressante en terme de suivi épidémique », analyse-t-il.

UQTR

Comment est-ce possible de dépister le COVID-10 par l’entremise des eaux usées? 

L’un des enjeux principaux entourant le virus du COVID-19 repose sur le dépistage. L’objectif est de suivre le mieux possible le virus au sein d’une population pour mieux pouvoir contrôler et gérer les différentes éclosions. Certes, les méthodes traditionnelles font un bon travail mais elle possèdent quand même quelques failles, dont les cas asymptomatiques. En effet, une personne qui a contracté le virus mais qui ne présente aucun symptôme ne sera pas portée à aller se faire tester dans un centre de dépistage traditionnel. Puisque ces personnes sont quand même contagieuses, il peut devenir difficile de se faire une idée réelle du niveau de propagation du virus en se basant seulement sur les tests de dépistage traditionnels. Avec un système de détection basé sur les eaux usées, il est possible suivre la progression du virus de façon globale. 

Félix Desjardins

Quels sont les avantages de ce système de dépistage?

Bien que ce système ne permette pas d’identifier individuellement les personnes ayant contracté la COVID-19, il permet de dresser un portrait global de la situation pour une région donnée avec un ou deux échantillons. Pour la Santé publique, qui émet des recommandations au gouvernement québécois pour limiter la propagation du virus, cette méthode pourrait s’avérer très efficace. Il est en effet possible de déterminer le niveau de contagion pour des régions précises, ce qui permet de rapidement mettre en place des mesures pour contenir une éclosion. De plus, les personnes qui contractent la COVID-19 ne ressentent souvent pas de symptômes lors des premiers jours de l’infection. Le virus étant détectable dans les selles dès la contraction, le dépistage par les eaux usées permettrait ainsi à la Santé publique de réagir plus rapidement. Par exemple, à l’Université de l’Arizona, la surveillance des eaux usées a révélé la présence du virus dans un dortoir étudiants. Des tests traditionnels ont alors déterminé que deux résidants de ce dortoir avait contracté le virus. Les responsables de l’université ont par la suite expliqué que la rapidité du système de détection par les eaux usées avait permis de limiter la transmission du virus dans ce dortoir. Au Québec, on peut penser que ce système pourrait être utile dans les secteurs où les gens sont plus à risque, dont les hôpitaux et les CHSLD. 

CentrEAU

Y a-t-il des études en cours sur la question au Québec?

Plusieurs laboratoires de recherche se penchent sur la question au Québec actuellement. Chercheuse régulière au Centre québécois de recherche sur l’eau (CentrEAU) et professeure à Polytechnique Montréal, Sarah Dorner (Entretien téléphonique, 21 octobre 2020) se penche sur la question depuis le mois de mars. « On a commencé à échantillonner au début,  donc on peut reconstruire la pandémie comme on l’a vue à Montréal avec ces échantillons », explique-t-elle.

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Quelles sont les limites de ce système de dépistage?  

Bien que ce système de dépistage soit utile pour détecter des éclosions dans certains régions, il possède quand même ses limites. Ce système est donc un bon complément aux méthodes traditionnelles, mais ne pourrait être utilisé comme moyen principal de dépistage, vu l’irrégularité de la présence du virus dans les selles. « Ça sert à renforcer les méthodes de dépistage dans la population, mais pas à les remplacer, précise Dorner. Il faut que ça serve la Santé publique, mais on sait que nos méthodes fonctionnent. » 

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Pourquoi ce système n’est que très peu utilisé au Québec, alors qu’il est populaire dans plusieurs pays occidentaux?

Il s’agit d’abord et avant tout d’un problème de financement. « On est présentement financé par nos équipes de recherche, explique Dorner. Il y a seulement quelques équipes qui ont eu du financement du gouvernement fédéral. »

L’autre obstacle auquel les scientifiques font actuellement face est le manque d’équipement disponible. Comme les réactifs sont les mêmes que ceux utilisés pour les tests de dépistage, il est difficile pour les méthodes dites alternatives de s’en procurer. « En ce moment, il y a des difficultés pour acheter du matériel scientifique », admet Mme. Dorner. 

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