Qu’est-ce que la radicalisation ?
Radicalisation, extrémisme, fanatisme… À l’ère de Trump et de la Covid-19, ces mots font florès. Mais que veulent-ils vraiment dire ? Selon le Larousse, la radicalisation est « le processus par lequel une personne devient plus extrême dans son point de vue ou ses idées ». Pour Jean-Hugues Roy, professeur de journalisme à l’UQAM et auteur d’une étude sur les médias sociaux publié le 19 septembre dans Le Devoir, « la désinformation mène à la radicalisation » (entretien téléphonique, 22 septembre 2020). À une époque où de plus en plus de gens s’informent grâce aux médias sociaux – 55% des Américains selon une étude publiée en 2019 par le Pew research Center – il est évident que ceux-ci peuvent facilement devenir un vecteur pour la radicalisation.
Comment est-on témoin de la radicalisation sur les médias sociaux ?
Il Suffit de parcourir le fil de n’importe quel utilisateur de Facebook pour se rendre compte que la radicalisation est partout. L’oncle qui est convaincu que le port du masque est un complot du gouvernement pour nous contrôler, le voisin qui laisse sortir son racisme latent et s’aidant des déclarations de Donald Trump, les exemples ne manquent pas. Une cause de ce phénomène est le nombre grandissant de colporteurs de fausses nouvelles, qui se nourrissent de l’ignorance de leur auditoire pour leur gain personnel. Ceux-ci, qui opéraient autrefois dans l’ombre, sont devenus si importants sur les médias sociaux que le maire de Québec, Régis Labeaume, s’est senti obligé d’en parler lors d’une conférence de presse le 21 septembre sur le Covid-19 : « Je vous en prie, n’écoutez-pas les grands génies de ce monde qui disent que porter le masque n’est pas important », a-t-il plaidé au micro, qualifiant au passage ces agitateurs de « nano-Trump ».
Les médias sociaux sont-ils la cause de la montée du radicalisme ?
Il peut être difficile de décerner si les médias sociaux ne font que mettre en lumière un phénomène qui existait ou s’ils sont la cause-même de ce phénomène. Selon Jean-Hugues Roy, auteur d’une étude sur les médias sociaux publié le 19 septembre dans Le Devoir, « depuis longtemps les gens croient aux théories du complot mais les médias sociaux accélèrent ça par contre, ils jettent de l’huile sur le feu ».
Comment les médias sociaux encouragent-ils la radicalisation ?
« Les médias sociaux nous récompensent dans nos émotions. Ils nous invitent à réagir de façons émotives, par exemple en likant », explique Jean-Hugues Roy. Les géants du web se servent en effet d’algorithmes afin de nous présenter du contenu qui saura nous plaire. Comme l’explique l’ancien employé de Google et le fondateur du Center for Humane technology Tristan Harris dans le documentaire Derrière nos écrans de fumée (The social dilemma) publié dernièrement sur Netflix et qui connait un énorme succès, les médias sociaux adaptent ce qu’il présentent à chaque utilisateur afin de maximiser le temps passé sur l’application. Cela fait en sorte de créer des chambres d’écho, où les gens ne sont confrontés qu’à des idées et des opinions qui leur plaisent. Il est très facile de voir comment cela peut entraîner une radicalisation des idées chez certaines personnes plus vulnérables.
Quelles sont les motivations des géants du web les poussant à agir de cette manière ?
L’utilisation des algorithmes par le médias sociaux est avant tout alimentée par les motivations économiques de ces compagnies. En effet, comme la plupart des médias sociaux sont gratuits, ceux-ci font la majorité de leur argent à l’aide de la publicité. Le calcul est alors bien simple à faire ; plus un utilisateur passe de temps sur un média social, plus il sera profitable à ce même média. Une citation célèbre va comme suit, « si vous ne payez pas pour le produit, vous êtes le produit ». Cela ne pourrait être plus vrai dans le cas des médias sociaux.
On peut alors se permettre de faire un lien entre la radicalisation des points vues dont nous sommes actuellement témoins sur les médias sociaux et les motivations économiques des compagnies qui gèrent ceux-ci.
Les gouvernements doivent-ils réguler l’utilisation des algorithmes par les géants du web?
Jusqu’à quel point la collectivité peut-elle être affectée par les médias sociaux et leurs algorithmes ? Les gourous anti-masque ne sont-ils que la pointe du iceberg de la désinformation ? « On fait de l’argent avec les émotions, c’est sûr que ça a des effets pervers », mentionne JHR. « Les gouvernements devraient se donner un droit de regards sur les algorithmes qui peuvent avoir des effets néfastes sur la société, pour pouvoir monitorer ses effets-là. Ça prend une règlementation pour protéger la population », conclut-il.
Source :
La Presse, Feuillet Actualité, édition du 22 septembre 2020
Derrière nos écrans de fumée, Netflix, 2020