Ne devenons-nous pas tous un peu hypocondriaques à l’ère d’Internet ?
Qui n’a jamais « googlé » ses symptômes? De nos jours, nous nous auto-diagnostiquons avec le pouvoir du web. Par contre, il faut savoir qu’en tapant « mal de tête » en recherche Internet, il y a de fortes chances que nous aboutissions sur « cancer », de quoi nous rassurer grandement. L’hypocondrie est un trouble anxieux caractérisé par la peur obsessionnelle d’être gravement malade dont environ 7% de la population souffre. « Les gens hypocondriaques voient des publicités, des émissions, des sites qui parlent de maladies et cela n’est aucunement bénéfique pour calmer leur anxiété » explique Alexandre Guertin, un étudiant à la maîtrise en urbanisme (entrevue face à face 16 septembre 2019), souffrant d’hypocondrie depuis quatre ans. Il pouvait passer des heures à chercher ses symptômes pour le moindre inconfort dans son corps. « Si je devais conseiller les hypocondriaques, je dirais de consulter le moins possible les symptômes sur Internet. » Lynne Bibeau, psychologue et ex-infirmière explique qu’il est normal de s’inquiéter davantage : « On se questionne plus sur notre santé vue que toutes les réponses sont accessibles. Il faut vraiment avoir une fragilité pour un trouble d’anxiété par contre pour souffrir d’hypocondrie. Donc non, nous ne sommes pas tous un peu hypocondriaques.» (Entrevue téléphonique, 18 septembre 2019)
Passeport Santé
La cybercondrie est-elle la même chose que l’hypocondrie ?
La tendance à se tourner vers Internet pour s’auto-diagnostiquer a donné naissance à un nouveau phénomène: la cybercondrie. Il n’y a rien de mal à être curieux. Par contre, les cybercondriaques se créent un réel stress supplémentaire, car au lieu de choisir qu’ils ont une maladie banale, ils iront vers l’option de maladies plus graves comme les hypocondriaques. La cybercondrie est l’hypocondrie des temps modernes. Alexandre explique que les hypocondriaques ont tendance aujourd’hui à chercher leur diagnostique eux-mêmes et arriver avec leur théorie face au médecin. « Par la suite, peu importe ce que le médecin dit, si son diagnostic n’est pas le même que nous avions trouvé sur Internet, nous pensons qu’il s’est peut-être trompé, qu’il est peut-être passé à côté d’un élément important ». La cybercondrie créer donc, en quelque sorte, une peur supplémentaire alimentée par des forums et sites amateurs.
Laurene Mauduit
Les hypocondriaques sont-ils à la recherche d’attention ?
Lorsqu’une personne se plaint inutilement, on a tendance à dire qu’elle ne cherche qu’à se faire remarquer. À l’ère où les gens exposent publiquement leur vie sur les réseaux sociaux, il serait justifié de penser cela. Mais à quel prix? Les hypocondriaques souffrent dans leur tête, sans se faire prendre au sérieux la majorité du temps. L’hypocondrie est un mal dont on parle peu et qui est loin d’être le fruit de l’imagination des personnes atteintes. Lynne Bibeau explique la différence : « Les gens qui veulent simplement l’attention vont possiblement parler de leurs symptômes, amplifier cela, chercher la sympathie. Les hypocondriaques dépassent vraiment ça. Ils vont s’asseoir à l’urgence pendant 5-6 heures parfois, ce que quelqu’un cherchant simplement l’attention ne ferait pas. » Elle ajoute que les hypocondriaques vont jusqu’à déranger leurs habitudes de vie. « S’inquiéter pour sa santé ne déclenche pas le même dérangement qu’ont les hypocondriaques. Ils peuvent aller jusqu’à avoir des problèmes de sommeils ou alimentaires. » Alexandre raconte qu’en sachant que l’un des symptômes du cancer était la perte de poids, c’était devenu obsessionnel, il se pesait plus de trois fois par jour. Ses proches et son médecin lui répétaient de ne pas s’inquiéter, qu’il n’avait rien. « Les hypocondriaques, on a souvent l’impression que les gens ne prennent pas notre mal en considération et ont tendance à banaliser. Pourtant, c’est un inconfort qui persiste et fait rouler le hamster dans notre tête anxieuse. Cela va bien au-delà de vouloir de l’attention».
Capture d’écran Marie-Provence St-Yves
Diminuer sa consommation d’Internet pour être moins anxieux ?
Alexandre est certain que cela l’aiderait beaucoup. Il explique que c’est toutefois très dur de s’en passer puisque c’est devenu le principal outil de communication avec ses amis. Lynne Bibeau ne croit pas que cela est possible de demander aux gens anxieux de diminuer leur consommation d’Internet. Elle ajoute : « Avec l’accès facile à Internet, ça devient difficile de sevrer des gens anxieux qui vont regarder leurs symptômes sur Internet. » Une solution bien meilleure serait que les patients hypocondriaques et anxieux soient suivis en psychiatrie par des médecins qui les connaissent. Pour cela, il faut avant tout qu’ils admettent et acceptent qu’ils ont un problème.
Marie-Provence St-Yves
L’anxiété est-elle directement liée à l’hypocondrie ?
Selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), de 2011 à 2017, le nombre de jeunes au secondaire atteints d’un trouble anxieux a doublé, passant de 9 à 17 %. « Je vois l’hypocondrie comme une sous-branche de l’anxiété. L’hypocondrie c’est de l’anxiété par rapport à notre santé. » mentionne Alexandre. Son hypocondrie s’est développée exactement en même temps que son anxiété, soit, il y a quatre ans, durant son premier voyage loin de sa famille et de ses repères. Selon le manuel des diagnostics et statistiques des troubles mentaux (DSM), l’anxiété de séparation peut être un facteur déclenchant. Depuis, ses « pics d’hypocondrie », comme ils les appellent, sont assez handicapants, durant jusqu’à trois semaines. Pendant cette période, il est très anxieux. Des maux de ventre, ou autres symptômes s’en suivent, ce qui alimente sa peur de couvrir une maladie grave. Lynne Bibeau est claire : « L’hypocondrie va créer une anxiété, va créer un stress psychologique. Cela dérange toute la vie des hypocondriaques. Ce sont des gens anxieux à la base. » En gros, les gens hypocondriaques sont tous anxieux, mais tous les anxieux ne sont pas hypocondriaques.
Marie-Provence St-Yves
Comment réduire les consultations médicales inutiles des hypocondriaques ?
L’attente aux urgences est souvent très longue. Les hypocondriaques qui s’y présentent monopolisent des infirmières et médecins et contribuent à augmenter le temps d’attente. Étant certains d’être malades, ils cherchent à confirmer leur mal imaginaire à l’aide de toutes sortes de tests. Lorsque ceux-ci s’avèrent négatifs, ils vont en faire ailleurs. Lynne Bibeau, psychologue et ex-infirmière raconte : « Je me souviens quand je travaillais à l’hôpital il y avait quelqu’un qui revenait systématiquement faire des tests sanguins et à chaque fois ceux-ci étaient négatifs, donc un moment on n’en faisait plus. Mais cette personne allait ensuite dans un autre hôpital.» Selon elle, le meilleur moyen pour éviter les consultations inutiles est de faire suivre les hypocondriaques en psychiatrie par quelqu’un qui les comprend et peut les rassurer. Alexandre Guertin consulte d’ailleurs une psychiatre lorsqu’il se sent devenir anxieux ou entrer dans une phase hypocondriaque. « Souvent les hypocondriaques sont des gens qui tiennent beaucoup à la vie je crois. Parce que l’on a peur de la mort. Ça prend des médecins compréhensifs qui comprennent comment fonctionne l’anxiété » conclut-il.
AMENSCLINICSPHOTOS
Sources
(DSM) Le manuel des diagnostiques et statistiques des troubles mentaux, chapitre sur l’hypocondrie p.545
Entrevue par téléphone avec Lynne Bibeau, psychologue et ex infirmière, le 18 septembre 2019
Entrevue directe avec Alexandre Guertin, 24 ans, étudiant à la maîtrise et hypocondriaque depuis quatre ans, le 16 septembre