La pandémie de COVID-19 a-t-elle nui financièrement aux médias d’information?
La pandémie de COVID-19 a commencé à sévir véritablement au Québec au mois de mars. Alors que les médias d’information traversaient déjà une crise financière, cet événement planétaire a mis des bâtons dans les roues de toutes les entreprises médiatiques. « Avant le déclanchement de la pandémie, c’était notre meilleure année depuis longtemps, se rappelle le vice-président à l’information et éditeur adjoint de La Presse, Éric Trottier (Entrevue téléphonique, 18 septembre 2020). On pensait qu’on allait enfin mettre fin au déficit des dernières années. » La pandémie, qui a causé une baisse généralisée de la consommation, a grandement affecté les revenus publicitaires. Les médias qui privilégient encore les abonnements ont donc été favorisés dans ce contexte. « Notre modèle ne dépend pas uniquement de la publicité, mais davantage de l’abonnement des lecteurs, qui n’ont pas diminué pendant la crise », explique le directeur général du journal Le Soleil, Gilles Carignan (Entrevue téléphonique, 18 septembre 2020). De son côté, le directeur général du journal Le Devoir, Brian Myles , exprime aussi sa frustration reliée à la fluctuation des revenus publicitaires. « Globalement, il y a eu beaucoup de variation en publicité de janvier à mai et il y a des revenus publicitaires qu’on a perdus et qu’on ne retrouvera pas » (Entrevue téléphonique, 22 septembre 2020).
Le télétravail augmente-t-il l’efficacité des employés des entreprises médiatiques?
À partir de la mi-mars, les médias d’information ont dû recourir au télétravail. « À ma connaissance, on a été le premier média [québécois] à faire ça, dès le 12 mars », estime Trottier. Bien que le télétravail existe depuis longtemps dans le monde du journalisme, son utilisation exclusive a été accueillie avec beaucoup de scepticisme par les cadres des entreprises médiatiques. « J’étais opposé au concept de télétravail, avoue l’éditeur adjoint de La Presse. Pas en raison de la question de productivité, mais parce que je crois qu’une salle de rédaction joue un rôle important pour les journalistes. » Celui-ci affirme d’ailleurs qu’il a observé une hausse moyenne de productivité de 32% chez ses employés. Cette augmentation n’est pas unique à La Presse, selon les témoignages de ses collègues au Devoir et au Soleil. « On a constaté que les gens étaient autant ou plus efficaces qu’auparavant; ils se consacraient avec autant de passion à la tâche d’informer », constate Myles. « Je n’ai pas noté de baisse de productivité, », reconnait quant à lui Carignan. Je pense que les gens ont pris goût à cette façon de travailler. »
Quels sont les avantages de travailler dans une salle de rédaction?
Bien que le télétravail semble bien se marier au métier de journaliste, Brian Myles est convaincu de la nécessité de travailler en salle de rédaction. « C’est la capacité de mettre un ensemble de cerveaux à la poursuite d’un but commun, illustre-t-il. Le sentiment d’appartenance est aussi important, le sentiment d’avancer avec l’organisation. » Le directeur du Devoir ajoute que la santé mentale de ses employés vivant seuls est aussi mise à risque par le travail à la maison. Pour les autres, il faudra leur « donner une bonne raison pour qu’ils viennent au bureau, un environnement de travail comparable à ce qu’ils retrouvent à la maison », estime-t-il.
Le télétravail s’est-il taillé une place de façon définitive dans le monde des médias?
« Je dois admettre qu’après maintenant six mois, je suis hyper converti au télétravail », soutient Éric Trottier. Cette expérience est-elle assez concluante pour introduire cette pratique dans le monde des médias à long terme? « On ne l’obligera pas, mais on va le permettre sur une base volontaire, explique Gilles Carignan. La réalité même d’une salle de nouvelles va être vraiment différente à l’avenir, par rapport à ce qu’on a connu jadis ou ce qu’on voit dans les films. » Toutefois, le télétravail nécessite un déploiement technique important , selon M. Myles, un peu moins enchanté par l’idée. « Pour qu’un journaliste puisse travailler de la maison, ça prend une vigilance aux technologies de l’information qui est plus grande qu’auparavant, nuance-t-il. Il faut équiper les gens avec des VPN, il faut avoir des répondants en informatique disponibles en tout temps. Il va falloir trouver un juste équilibre et se doter d’une politique de télétravail. »
Le télétravail pourrait-il être une planche de salut pour la survie financière des médias?
Mise à part les conditions de travail des employés, le télétravail pourrait aussi servir à réduire la taille de la salle de rédaction des médias, qui pourraient privilégier des espaces de travail partagés. Ce changement permettrait d’amputer une des dépenses les plus importantes de ces entreprises, le loyer. « On a profité de l’arrêt pour réaménager nos locaux, c’est maintenant un espace plus petit où les gens pourront venir travailler dans des bureaux partagés, détaille Carignan. C’est sûr qu’avant de couper des postes de journalistes, c’est plus judicieux de voir si on peut s’organiser différemment au niveau de l’espace pour réaliser quelques économies. » Du côté de La Presse, où le nombre d’employés a chuté d’environ 60% en dix ans selon Trottier, les cadres considèrent déplacer les équipes d’administration, de publicité ou encore de marketing dans la salle de rédaction. Le Devoir, en période d’embauche, « manque déjà d’espace », selon Myles, et pourrait aussi recourir à un réaménagement de sa salle de rédaction. L’an dernier, leur effectif était passé de 100 à 121 employés.
Est-ce que la pandémie mondiale a entraîné une hausse de la demande en information?
Même si leurs revenus publicitaires ont chuté, les médias d’information ont pu compter sur une augmentation drastique de la consommation d’information dans la Belle Province, comme le témoignent les données publiées par Radio-Canada (voir graphique ci-dessus). On note donc une hausse de 56% des visites sur leur site web d’information entre la semaine du 16 mars 2020 et celle du 9 mars 2020, soit au tournant du confinement annoncé par François Legault. « La dernière fois qu’on a vu un appétit aussi grand en information, c’était à l’époque du printemps érable », constate M. Myles.
Sources