Samuel Branch

Les États-Unis, un terrain fertile pour les théories du complot ?

Les adeptes des théories du complot se font bruyants depuis le début de la pandémie. D’ailleurs, selon une récente enquête internationale dirigée par l’Université de Sherbrooke, 35% des Américains démontrent une forte croyance aux théories du complot. Les États-Unis tombent donc au troisième rang des pays qui adhèrent à des idées conspirationnistes, après les Philippines et le Royaume-Uni. « Il y a une grande méfiance envers les autorités gouvernementales et politiques, ce qui explique que la situation des complots aux États-Unis soit aussi prononcée », énonce Marie-Ève Carignan, professeure au Département de communication à l’Université de Sherbrooke et co-chercheuse de l’enquête (Entrevue téléphonique, 22 septembre 2020). En plus du manque de confiance envers les autorités, l’anxiété, les caractéristiques sociales démographiques et les réseaux sociaux, sont tous des facteurs importants qui peuvent faciliter l’adhésion aux complots. Yves Gingras, historien et sociologue, croit aussi qu’une des variables qui contribue à expliquer que les complots soient aussi populaires, est la méfiance à l’égard du gouvernement fédéral. « Le gouvernement fédéral est jamais considéré comme étant légitime, une partie de la population pense toujours qu’elle pourrait se faire manipuler », mentionne-t-il (Entrevue téléphonique, 21 septembre 2020). La méfiance de certains Américains envers l’autorité remonte à très longtemps selon Christian Page, journaliste et auteur du livre L’enquêteur des Théories du Complot. « Les pères fondateurs étaient pour la plupart des francs-maçons, alors ils [les Américains] ont toujours pensé qu’on cachait des choses mystérieuses. » (Entrevue téléphonique, 23 septembre 2020)

Rosemary Ketchum

D’où provient la méfiance de certains américains envers l’autorité gouvernementale ?

« C’est une tradition très ancienne aux États-Unis de penser que le gouvernement veut nous contrôler pour empêcher notre liberté », explique Gingras. Dans les années 70, après le scandale du Watergate, on remarque que les théories du complot foisonnent. Les Américains vont perdre confiance en leurs institutions et resteront marqués suite aux aveux d’abus de pouvoir du président Nixon. « Au 20e siècle, les idées « complotistes » vont apparaître de façon soutenue et de manière cyclique à la suite d’événements politique », rapporte Christian Page. Page rappelle qu’à ce jour encore, de grands mouvements sociaux entraînent une perte de confiance envers l’institution policière ainsi qu’une méfiance à l’égard du gouvernement. Sur ce point, Black Lives Matter est en première ligne.  « À partir du moment où il va y avoir des événements qui vont toucher la structure sociale, cela va donner naissance aux théories du complot. »

Glen Carrie

La peur exacerbe-t-elle la propension à croire aux complots ?  

La situation de la COVID-19 a provoqué une hystérie collective chez certains ce qui a pu les rendre plus propices à croire à des bizarreries. Yves Gingras mentionne qu’il « est normal que des gens ont commencé à se comporter d’une drôle de façon, nous sommes dans une période d’instabilité et de peur collective ».  Il est rassurant et sécurisant d’avoir une explication ou une raison et c’est ce que certaines théories du complot apportent. Marie-Ève Carignan abonde dans ce sens en expliquant que « les gens ont pu combler leur anxiété avec des théories qui leur donnent raison. Ils trouvent donc des gens qui pensent comme eux et se sentent moins seuls. » D’ailleurs, il y a une augmentation des cas d’adhérence aux théories du complot lorsqu’une situation nous touche directement comme avec la COVID-19, ou comme avec le groupe conspirationniste QAnon, dont les femmes deviennent le principal moteur.

Roman Kraft

Les médias d’information aux États-Unis ont-ils une part de responsabilité ?

« Il faut faire attention afin de ne pas tomber dans le piège de leur donner trop d’attention [aux complotistes] », met en garde Marie-Ève Carignan. La professeure déplore que certains médias mettent de l’avant des figures de proues des mouvements conspirationnistes, car cela peut leur permettre d’aller chercher de nouveaux adeptes. Gilles Vandal, professeur à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, dénonce les médias d’information tel que One America News (OAN) et Fox News qui partagent de fausses nouvelles. « Donald Trump endosse des théories du complot et ensuite des chaînes comme OAN reprennent ces idées » (Entrevue téléphonique, 22 septembre 2020). OAN considère que les différentes théories du complot sont importantes et valables et donc, qu’elles méritent d’être traitées comme de vraies nouvelles.

Joel Muniz

QAnon, du déjà vu ?

La conspiration QAnon, qui existe depuis 2017, prétend qu’un groupe satanique et pédophile contrôle secrètement le gouvernement américain. Donald Trump, considéré comme étant leur sauveur, a donné son appui aux partisans de cette théorie lors d’une de ses conférences de presse. Ce mouvement rappelle à Christian Page la conspiration satanique qui a commencé tranquillement à la fin des années 60 jusqu’au milieu des années 80. « Plusieurs centres de petites enfances commençaient à ouvrir pour permettre aux femmes de travailler et puis là, des groupes fondamentalement religieux ont commencé à dire que le diable était là. La peur satanique est donc arrivée. » À partir de ce moment, certaines personnes se sont mises à croire que des enfants vivaient des abus et que le diable était partout. D’ailleurs, plusieurs techniciens s’étaient fait faussement accuser d’abuser des enfants. Ce mouvement de chasse satanique est basé sur la même pensée que QAnon : sauver les enfants. « À l’époque le sauveur c’était Dieu, maintenant c’est Trump », conclut Page.

Wesley Tingey

Doit-on s’inquiéter du mouvement conspirationniste QAnon ?

L’année dernière, le FBI qualifiait QAnon de danger potentiel pour la sécurité nationale. Plusieurs actes violents avaient aussi été associés au mouvement. « Pour tous les mouvements radicaux, il y a un côté très inquiétant, car cela peut mener à la violence », croit Marie-Ève Carignan. QAnon s’apparente de plus en plus à un mouvement religieux, voire même à une secte. « Les gens sont convaincus, ils vont passer des heures à fouiller pour trouver des informations et ils vont avoir tendance à s’isoler de leurs proches vu qu’ils ne pensent pas comme eux », explique la professeure. Or, Mme Carignan évoque tout de même que l’on doit faire attention afin de ne pas généraliser. « Ce n’est pas tout le monde qui adhère à cette théorie « complotiste » au même niveau, ni pour les mêmes raisons ». Christian Page est du même avis, « c’est un mouvement qui reste marginal, bien que visible, mais il ne représente qu’une minorité ».

SOURCES :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1733460/theories-du-complot-canada-comparaison-autres-pays-covid19

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1727900/mouvement-qanon-conspirationniste-complot-web-approche

https://ici.radio-canada.ca/premiere/balados/7136/mouvement-panique-psychose-generale-indignation-media/episodes/449184/dongon-dragon-diable-mal-charles-manson-horreur

https://www.ledevoir.com/societe/152390/paranoia-made-in-usa

https://plus.lapresse.ca/screens/fc14d9f7-e628-468d-9585-2c6ceadf4341__7C__hwR-TnnnXHzk.html

https://wp.unil.ch/allezsavoir/%E2%80%89cette-theorie-du-complot-temoigne-de-lebranlement-assez-general-des-institutions%E2%80%89/

https://www.reuters.com/article/us-socialmedia-qanon-factbox-idUSKBN26203M

https://theconversation.com/qanon-conspiracy-theory-followers-step-out-of-the-shadows-and-may-be-headed-to-congress-141581

https://theconversation.com/the-church-of-qanon-will-conspiracy-theories-form-the-basis-of-a-new-religious-movement-137859

https://www.lavoixdelest.ca/chroniques/gilles-vandal/one-america-news-et-les-theories-du-complot-8acb23426aef0909051ad54cf071b93e

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