Pourquoi tant de diagnostics de troubles de santé mentale pour les jeunes au Québec ?

Selon les statistiques de la Régie de l’assurance maladie du Québec, 13 % des jeunes du secondaire ont reçu un diagnostic de trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) confirmé par un médecin, alors que les Québécois consomment 35 % des médicaments anti-TDAH prescrits partout au Canada, faisant du Québec la province où la consommation de ces médicaments est la plus accrue. Ce nombre peut être expliqué par plusieurs facteurs; en premier lieu, les troubles de santé mentale sont mieux détectés à l’heure actuelle qu’ils ne l’étaient il y a quelques années. En deuxième lieu, selon la porte-parole du Mouvement jeunes et santé mentale, qui se bat contre la médicalisation des problèmes sociaux des jeunes et de ses effets, Anne-Marie Boucher, ce nombre découlerait également d’une certaine tendance à diagnostiquer ce trouble. « Le pédopsychiatre Guy Falardeau a publié cet automne un livre : Tout ce qui bouge n’est pas TDAH, et son message est qu’il y a vraiment une mode diagnostic présentement. Autrement dit, on a tendance à diagnostiquer très rapidement le TDAH, alors qu’en réalité, si on regarde la symptomatologie, « pratiquement tout le monde pourrait se faire diagnostiquer en tant que tel » (entretien téléphonique, 18 septembre 2018). C’est pour remédier entre autres à cette problématique que le Mouvement, actif depuis 2009, a effectué le 9 septembre une sortie publique afin de revendiquer la tenue d’une commission politique sur la médicalisation des problèmes sociaux des jeunes.

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En quoi la médicalisation est-elle un problème ?

La médicalisation, qu’il ne faut pas confondre avec la médicamentation, est le fait d’établir un diagnostic sur quelque chose qui, à la base, n’es pas médical. Il s’agit donc de problèmes non médicaux, comme des émotions et des états d’âme, que l’on traite comme des problèmes médicaux, tout en les sortant de leur contexte et en ne prenant pas en compte l’environnement social des individus touchés. « En santé physique, il y a des tests qui peuvent être faits pour vraiment mesurer et quantifier les choses, il y a des barèmes physiques sur lesquels se rabattre. En santé mentale, c’est vraiment ce que la personne exprime et décide d’exprimer qui va être l’indicateur. C’est pour cette raison que le contexte doit toujours être pris en compte », précise Anne-Marie Boucher.           

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Quel est le rôle du milieu scolaire dans la médicalisation des jeunes ?

Les jeunes sont médicamentés de plus en plus tôt; en 2013, on dénombrait 289 jeunes de six à 10 ans et 1575 jeunes de 11 à 15 ans sur les antidépresseurs, contre 400 et 2 236 en 2017. L’école a donc un rôle important à jouer dans l’encadrement de ces jeunes, puisque c’est dans ce milieu qu’ils passent le plus clair de leur temps. « De façon générale, le milieu scolaire a aussi moins de personnel d’accompagnement qu’avant. La classe régulière, que ce soit au primaire ou au secondaire, a également changé. On retrouve donc des classes où il y a de plus en plus de jeunes en difficultés qui sont réunis, et où un jeune très agité va sembler plus dérangeant qu’avant, ce qui mène à une tolérance moins grande à l’égard d’un comportement d’activité intense », explique Anne-Marie Boucher.

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Quels sont les effets de la stigmatisation des jeunes atteints de troubles de santé mentale ?

Le fait que les jeunes qui reçoivent un diagnostic de santé mentale se font expliquer par leur médecin qu’ils vont peut-être avoir de la difficulté à réussir dans certains aspects de leur vie peut mener à une auto-stigmatisation, à la suite de quoi il vont souvent réviser à la baisse leurs aspirations et leurs projets. Sur le marché du travail et dans l’éducation, la stigmatisation peut également poser problème; si certains employeurs peuvent se montrer accommodants après le dévoilement d’un diagnostic, d’autres peuvent également voir l’employé d’une autre façon. Dans le milieu de la santé, c’est également un problème de taille. « Parfois, les personnes qui ont un diagnostic psychiatrique vont avoir de la difficulté à être crédibles face à un médecin lorsqu’elles éprouvent des problèmes de santé physique. On va associer leur malaise physique à leur malaise psychologique, ce qui peut être très dangereux et contrevient à leur droit à la santé et à la vie », affirme  Anne-Marie Boucher.

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Quels sont les traitements alternatifs à la médicalisation ? 

La médicalisation est la solution facile aux troubles de santé mentale, surtout dans l’optique où les ressources en personnel et en capital sont limitées au Québec. Il est plus facile et moins coûteux à long terme de prescrire des médicaments que d’essayer d’agir sur le milieu psycho-social du jeune ou de la personne qui éprouve des difficultés. Pour réussir à offrir des traitements alternatifs, tels que des suivis psychologiques, de l’accompagnement parent-enfant et des ressources en éducation, il faudrait débloquer des fonds, former du personnel, ainsi que sensibiliser la population. 

meds.jpg Léa Viens

Quelle est l’importance donnée à l’information en santé mentale ?

Les personnes atteintes de troubles de santé mentale ont les mêmes droits que quiconque, c’est-à-dire le droit à l’information, au consentement libre et éclairé, d’être accompagné lors de rendez-vous médical et de participer au traitement. Selon les informations récoltées par le Forum tenu par le Mouvement jeunes et santé mentale, les jeunes ne recevraient pas toujours toutes les informations dont ils auraient besoin pour faire des choix éclairés quant à leur diagnostic et leur médication. C’est également une problématique à laquelle a fait face Tommy Benoît, 22 ans, lorsqu’il a été diagnostiqué avec un TDAH à l’âge de 11 ans. « J’ai reçu un diagnostic très rapidement, après une seule rencontre, et j’ai également commencé à prendre du ritalin. On ne m’a pas vraiment informé sur le médicament que je prenais, ni sur ses effets secondaires. C’est pour ça que j’ai arrêté au secondaire, parce que je consommais autre chose et que ça interférait avec ma médication », explique le jeune homme. (Entrevue, 17 septembre 2018). 

Sources :

Mouvement jeunes et santé mentale, http://mouvementjeunessm.com/fr, http://media.voog.com/0000/0040/8957/files/M%C3%A9moire%20Mouvement%20des%20jeunes%20en%20sant%C3%A9%20mentale%20FRESQue%2028%20f%C3%A9vrier%202017_.pdf

Le Soleil, https://www.lesoleil.com/actualite/sante/250-organismes-denoncent-la-surmedicalisation-des-jeunes-d9ce20071575281cb81b2a30e53f1739

Radio-Canada, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1093937/medicaments-depression-jeunes-anxiete

Le Devoir, https://www.ledevoir.com/societe/sante/509049/tdah-6-des-jeunes-quebecois-se-voient-prescrire-un-traitement-pharmacologique

Statistiques Canada, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/82-003-x/2014006/article/14032-fra.htm

La Presse, http://www.lapresse.ca/actualites/sante/201503/08/01-4850438-ritalin-la-consommation-atteint-des-records-au-quebec.php, http://www.lapresse.ca/actualites/sante/201503/08/01-4850438-ritalin-la-consommation-atteint-des-records-au-quebec.php

INESS, https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Rapports/ServicesSociaux/INESSS_Portrait_TDAH_IMS.pd

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