Pourquoi la Fédération des femmes du Québec a-t-elle été aussi longtemps indécise ?

Le 28 octobre 2018, la Fédération des femmes du Québec, une organisation féministe autonome qui travaille à la transformation, voire à l’élimination des rapports sociaux de sexe et des rapports de dominations, a fait une sortie publique en affirmant reconnaître la prostitution comme un travail auquel des femmes consentent.

Le dernier débat que la FFQ avait eu sur la question de la reconnaissance du métier a pris place en 2006. À ce moment, la Fédération n’avait pas été en mesure de prendre position sur l’enjeu. En s’engageant à nouveau dans la discussion, elle s’est donné le devoir de parler de deux positions : celle du travail du sexe, et celle de la prostitution de rue.

« Ce qu’on a fait, le 28 octobre, c’est de sortir du débat et ainsi centrer nos efforts sur les droits fondamentaux des femmes », explique Gabrielle Bouchard, la présidente de la FFQ (entrevue téléphonique, 5 novembre 2018). Certains organismes appuient la décision de la FFQ comme Les Amis de Stella, alors que d’autres la rejettent complètement, comme la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES), qui militent en faveur d’une abolition complète de l’exploitation sexuelle.

IMG_6835.JPG Eloïse Chagnon

Qu’est-ce que la prostitution de rue ?

En 2013, Le Conseil du statut de la femme du Canada et Statistiques Canada dévoilait que la prostitution de rue représentait de 5 à 20 % de la prostitution globale au pays. Selon une étude menée sur le territoire de Montréal, Hochelaga-Maisonneuve détiendrait 60 % du taux de prostitution de rue de la ville.

Il est important de distinguer la prostitution de rue des salons de massages, du service d’escortes ou des danseuses. Le commerce de l’érotisme, dont ces dernières catégories font partie, est toléré. Un autre bon exemple de cette marchandisation est le restaurant Les Princesses d’Hochelaga au coin des rues Viau et Hochelaga, établi dans le quartier depuis des dizaines d’années.

poste police.jpg Éloïse Chagnon

Victime ou choix ?

La position de la Fédération ne vise pas à banaliser le travail du sexe ou à minimiser ses effets, mais plutôt de reconnaître que dans certaines situations, il peut être un choix. Se faisant, elle admet une certaine agentivité des travailleuses du sexe, et exclut l’idée d’une situation uniquement forcée ou obligatoire. « On a décidé de soutenir les femmes, leurs droits à la sécurité, à la santé, au bien-être moral et physique, et ce, sans jugement », tranche Gabrielle Bouchard.

Pourtant, le sergent du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Claude Lizotte, est d’avis contraire. « Pour la grande majorité des personnes qui font le travail du sexe sur la rue, ce n’est pas un choix. Dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, ces femmes ne sont pas que des prostituées, elles sont avant tout des toxicomanes », explique-t-il (entrevue, 7 novembre 2018).

Celui qui a plus de 26 ans d’expérience auprès des travailleuses du sexe observe que la majeure partie de celles qui proposent leurs services dans le quartier vendent leurs charmes afin de subvenir à leurs besoins, comme celui d’entretenir leur consommation de drogue. « Les filles commencent leur journée avec zéro piastre, font une fellation à vingt dollars pour se procurer une roche de crack au même prix. Plusieurs fois par jour, encore et encore, pour finir la soirée avec zéro dollar en poche », atteste-t-il.

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Quelle nuance entre encouragement et reconnaissance ?

La prise de position de la FFQ aura sans doute des effets bénéfiques pour les travailleuses du sexe, selon Gabrielle Bouchard. Ces dernières pourront se sentir moins stigmatisées dans leur travail, celui-ci étant reconnu par la Fédération comme pouvant être un choix de carrière. Cette décision a d’ailleurs suscité beaucoup de commentaires mitigés dans les médias, particulièrement parce que certains considèrent la déclaration comme un appui à l’exploitation sexuelle.

« Je pense que c’est un enjeu qui est émotif, qui parle de sexualité,  donc évidemment tout le monde en parle avec ses lunettes ou sa propre vision des choses, appuie-t-elle. Ce qu’on fait présentement, ce n’est pas de reconnaître la prostitution. C’est d’admettre que pour certaines femmes, c’est une situation de vie. Notre responsabilité en tant que Fédération, c’est de les soutenir, peu importe le contexte ou leur choix ». En ce qui concerne une prochaine légalisation de la prostitution, il est pour l’instant impossible d’en imaginer les effets, puisqu’aucune mesure n’a encore été prise en ce sens, souligne Gabrielle Bouchard.

char police.jpg Éloïse Chagnon

Quelles actions sont posées pour aider les prostituées ?

La loi fédérale C-36 sur la prostitution adoptée en 2014 criminalise les clients et les proxénètes ainsi que la sollicitation en présence d’enfants ou dans les zones scolaires. Depuis, le travail de la police consiste donc à protéger ces femmes, et non à les criminaliser, explique le sergent Claude Lizotte.

Gabrielle Bouchard abonde en ce sens : selon elle, il y a des gens qui disent que la loi fédérale en place est suffisante, puisqu’elle dépénalise les femmes et qu’elle criminalise les personnes qui en profitent. « Si on regarde un peu plus creux, on se rend compte que légalement, si un enfant est nourri par sa mère avec une épicerie achetée grâce à de l’argent gagné avec des clients, il se retrouve à tirer parti des fruits de la prostitution, et il pourrait donc, dans les faits, être arrêté », se désole la présidente de la FFQ.

Au niveau provincial, le parti caquiste proposait en mars 2018, quelques mois avant d’être élu, huit mesures et un investissement de six millions de dollars pour contrer la banalisation de la prostitution au Québec. En octobre, François Legault a relancé l’idée en proposant un cours d’éducation à la sexualité qui abordera également des notions sur la pornographie et la prostitution.

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Peut-on exercer ce métier de manière sécuritaire ?

Pour le sergent Claude Lizotte, les prostituées d’aujourd’hui sont plus endettées qu’auparavant, « dans tous les sens du terme ». La drogue est plus forte et plus coûteuse, les doses de fentanyl dans les stupéfiants sont puissantes et si elles n’ont pas d’endroit où dormir la nuit, les filles se retrouvent hautement à risque de vivre de la violence.

Depuis 2009, le sergent est également responsable du groupe de travail Dopamine ainsi que le chef des patrouilleurs à pied dans le quartier du poste 23. Ce déploiement consiste à protéger les filles œuvrant dans Hochelaga-Maisonneuve, dans la mesure du possible. « Notre job, c’est d’être dans la communauté, de tisser des liens avec les personnes toxicomanes, les itinérantes et la population vulnérable pour les inciter à venir chercher de l’aide, à se confier et à collaborer avec les policiers sans être jugées .»

Selon la déclaration de la FFQ du 28 octobre 2018, au moins dix femmes dans l’industrie du sexe ont été assassinées au Canada en 2017 et 79 % des femmes incarcérées en prison provinciale ont une expérience de prostitution et sont donc exposées à un facteur de risque majeur pour le VIH, différentes ITSS et pour la santé globale. En 2012, le Conseil du statut de la femme avançait que plus de 80 % des travailleuses du sexe avaient été victimes de violence, souvent dès l’enfance.

Sources : 

Le Devoir :

https://www.ledevoir.com/societe/540114/la-prostitution-reconnue-comme-un-travail

La Presse :

https://www.lapresse.ca/actualites/201810/29/01-5202138-la-prostitution-peut-etre-un-choix-admet-la-ffq.php

Radio-Canada :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/646901/prostitution-chiffres-canada

Conseil du statut de la femme :

Déclaration de la Fédération des femmes du Québec :

http://www.ffq.qc.ca/2018/10/14702/

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