À quel point le Québec déverse-t-il des eaux usées dans les cours d’eau potable ?

En octobre 2015, la Ville de Montréal a pris la décision de rejeter 4,9 milliards de litres d’eau usée directement dans le fleuve Saint-Laurent. «Le fleuve a une capacité de dilution importante, avec un débit de 6000 à 7000 mètres cubes par seconde. Ce n’est pas une préoccupation majeure pour l’environnement», avait alors déclaré le porte-parole de la Ville, Philippe Sabourin. L’administration de l’ancien Maire, Denis Coderre, avait alors spécifié qu’il s’agissait d’une mesure exceptionnelle.

En février 2018, la Ville de Québec déverse à son tour 46 millions de litres d’eaux usées dans le fleuve. Dans les deux cas, le déversement était nécessaire à la réalisation de travaux, pour abaisser l’autoroute Bonaventure dans le cas de Montréal, et pour réaliser des travaux d’entretien dans le cas de Québec.

S’il s’agit de cas extraordinaires pour les grands centres urbains, c’est un quotidien pour les petites bourgades québécoises comme Tadoussac ou Sept-Îles. Un reportage de Radio-Canada révélait d’ailleurs que 93 municipalités ne disposent toujours pas de système de traitement d’eau.

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Quelle quantité d’eau utilise-t-on au quotidien ?

L’eau douce occupe 11,7% de la superficie du Canada, le Québec dispose à lui seul de 3% des réserves d’eau douce mondiale. En 2016, un Québécois consommait en moyenne 551 litres d’eau par jour. À titre de comparaison, un Français, en 2013, en consommait 143.

En 2015, les ménages canadiens ont consommé 3,16 milliards de mètres cubes d’eau. En incluant le secteur industriel, dont la consommation d’eau est dix fois plus élevée que celle des ménages, ce sont 35,73 milliards de mètres cubes d’eau qui a été utilisée en 2015. Il est à noter qu’un mètre cube d’eau équivaut à 1000 litres.

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Les usines de traitement sont-elles la solution ?

Bien que le traitement de l’eau soit une priorité pour la professeure associée au département des génies civil, géologique et des mines, Sarah Dorner, cette dernière affirme que «l’agriculture est en fait une source possiblement plus importante de nutriments dans les cours d’eau», elle est aussi une source importante de contaminants. (Entrevue téléphonique réalisée le 1er octobre 2018)

«C’est plus facile de s’attaquer aux problèmes où il y a une source ponctuelle, puisqu’on connaît la source de contamination, puis on peut l’améliorer», ajoute-t-elle. Lorsque la source de contamination est aussi volatile que dans le cas de l’agriculture, son contrôle devient moins évident. La pluie provoque le rejet des d’agents nocifs, comme les pesticides et les insecticides, directement dans les cours d’eau.

«Avec les changements climatiques, on s’attend à avoir plus de pluies et plus intenses, [des pluies] que nos stations d’épuration n’ont pas nécessairement la capacité de traiter», affirme encore la professeure.

IMG_20181004_114901.jpg Michaël Laforest

Pourquoi les programmes gouvernementaux ne se concrétisent pas ?

Plusieurs municipalités ont soumis des projets afin de réaliser éventuellement des travaux de construction, de réfection ou d’agrandissement d’infrastructures municipales d’eau potable et d’eaux usées.

Le programme d’infrastructures municipales d’eau (PRIMEAU) créé par le gouvernement en 2014 afin de remédier à la situation dans plusieurs villes du Québec s’avère être un outil peu effectif. L’aide financière proposée aux municipalités se calcule en fonction du nombre d’habitants, or, plusieurs d’entre elles ont des besoins beaucoup plus élevés bien que leur population soit moindre. La cogestion des projets est scrutée entre deux ministères, soit celui des Affaires municipales ainsi que celui de l’Environnement. Cette réalité cause des délais administratifs importants, ce qui nuit à l’aboutissement de plusieurs projets. Radio-Canada rapportait en septembre 2018 que sur 46 villes ayant déposé une demande, seulement trois sont présentement en chantier. Qui plus est, tous les travaux admissibles devront être exécutés avant 2025. Un peu moins d’une décennie sépare la création du programme de son objectif, installant par le fait même un climat d’inaction de façon générale. Sarah Dorner déplore l’inertie de plusieurs administrations à l’égard de cet enjeu : «On n’est pas stressé dans la majorité des cas parce qu’il n’y a pas une grande pression gouvernementale», explique-t-elle.

welcome_to_ontario_canada_sign.jpg Andy Janssen

Le Québec fait-il bonne figure par rapport à l’Ontario ?

«On est un peu en retard par rapport aux autres provinces», explique Sarah Dorner. Elle pèse cependant ces mots dans le sens où la problématique de la gestion des aux usées et des rejets fréquents dans les sources d’eau potable est un phénomène omniprésent en Amérique du Nord. « […] Il y a quand même des eaux usées qui se déversent dans les Grands Lacs [en Ontario].»

Somme toute, l’Ontario, à titre comparatif, possède une structure législative qui permet un contrôle plus effectif du déversement des eaux usées. Tous les rejets d’eaux usées dans les milieux naturels sont régis par la Loi sur les ressources en eau de l’Ontario, d’autant plus que le Système ministériel d’information sur les eaux usées (SMIEU) oblige les installations industrielles à déclarer leurs rejets d’effluents.

IMG_20181004_093215.jpg Michaël Laforest

Qu’est-ce qui explique ce manque d’organisation ? 

La cogestion d’un programme de subventions entre deux ministères québécois est un frein à l’achèvement de projets afin de traiter les eaux usées. Sans toutefois généraliser cette problématique à l’échelle internationale, la difficulté à gérer un tel problème est liée aux besoins propres de chaque administration qu’elle soit nationale, provinciale ou municipale. Seulement sur le territoire québécois, on peut constater que Sept-Îles n’a pas les mêmes besoins que Tadoussac, ce qui complique la tâche du gouvernement lorsque vient le temps d’imposer des lois et des règlements. Le problème ne va pas s’estomper avec les années, au contraire, il va s’aggraver. Sarah Dorner, experte en qualité de l’eau, est sans équivoque: «C’est important de continuer afin de protéger la santé humaine [et marine]».

Sources:

https://www.statcan.gc.ca/fra/quo/smr08/2017/smr08_215_2017
http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/indicateurs-indices/f/2089/0/consommation-deau-potable-journaliere.html
https://www.tvanouvelles.ca/2018/02/21/46-millions-de-litres-deaux-usees-seront-deverses-dans-le-fleuve-a-quebec-1
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/743226/deversement-eaux-usees-egout-saga
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1126288/reseau-egout-eaux-usees-municipalites-ville-village-quebec-egout-environnement
https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/eaux-usees/pollution.html
https://www.mamot.gouv.qc.ca/fileadmin/publications/infrastructures/programmes_aide_financiere/PRIMEAU/guide_primeau_2018.pdf
https://www.ontario.ca/fr/page/regles-gouvernant-lepuration-des-eaux-usees-industrielles

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