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Pourquoi certaines églises contestent les règles sanitaires mises en place par le gouvernement ?

Selon Frédéric Dejean, professeur du Département des sciences des religions à l’UQAM, certaines églises protestent contre les mesures sanitaires pour des raisons d’ordres religieux et politiques. 

Pour eux, l’État n’a pas à rentrer dans les affaires des citoyens. Les mesures sanitaires proposées par les autorités viendraient empiéter sur les libertés individuelles des fidèles. 

« Il y a tout un arrière-plan idéologique que je qualifierais de libertarien. En interdisant les accès au lieu de culte, l’État viendrait brimer de façon indue leurs libertés, notamment les libertés religieuses », confie le spécialiste (entrevue téléphonique, le 9 décembre 2020). « Ensuite chez certains, il y a aussi l’idée que de toute façon, ils vont être protégés du virus de façon miraculeuse par Dieu »

Depuis plusieurs semaines, l’église “Nouvelle Création”, située dans le quartier Saint-Michel, fait la manchette. Un des pasteurs de l’église, Carlos Norbal, incite ouvertement ses fidèles à ignorer les mesures sanitaires. Depuis le 22 novembre, l’église exploite illégalement un lieu culte. Une messe a même rassemblé environ 200 personnes agglutinées sur le trottoir entre poignées de mains et accolades.

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L’Église entretient elle une forme de méfiance à l’égard du gouvernement ?

Desjean partage l’idée qu’au Québec, il y a une sorte de méfiance des groupes religieux par rapport au discours officiel, même si traditionnellement dans la province, les groupes religieux s’intéressent assez peu à la politique. 

« Il y a cette idée que le discours du gouvernement, des médias traditionnels et des autorités est un discours qui ment et qui cache des choses et qu’il n’y aurait pas de pandémie », affirme le professeur (entrevue téléphonique, le 9 décembre 2020). Celui-ci ajoute qu’il y a eu des critiques de la part de divers groupes religieux. Celles-ci ne ciblaient pas la gestion de la pandémie en tant que telle, mais elles se référaient davantage à la question de l’ouverture et de la fermeture des lieux de cultes.

Le spécialiste précise néanmoins que le phénomène est tout de même marginal au Québec par rapport à ce que l’on peut voir aux États-Unis, du côté du Canada anglophone ou ailleurs dans le monde.

En France par exemple, des associations catholiques ont saisi le Conseil d’État pour dénoncer un décret du gouvernement, limitant à 30 personnes le nombre de fidèles autorisés à assister aux cérémonies religieuses. Ce décret a été jugé disproportionné, voire discriminatoire, car ce décret s’applique aussi bien dans des petites églises que dans des cathédrales. La taille des bâtiments et leurs capacités d’accueil ne sont pas prises en compte.

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Quelle est la position du Vatican par rapport au respect des règles sanitaires ?

Le pape François appelle les fidèles à respecter les règles sanitaires et à se protéger contre la contamination. Le chef de l’Église catholique cherche à se poser en exemple pour sa communauté en prenant personnellement la décision de suspendre les audiences publiques,  à partir du 4 novembre dernier. Désormais, celles-ci auront lieu dans le Palais apostolique du Vatican, une des résidences du pape. 

« Dans le cas de l’Église catholique, que ce soit sur la question de la pandémie ou d’autres sujets, ils ont toujours indiqué que le croyant doit se soumettre aux lois et aux règles de l’État (ou du pays), dans lequel il se trouve », ajoute Dejean (entrevue téléphonique, le 9 décembre 2020). 

Le pape François se pose donc en défenseur des autorités politiques au point de condamner sévèrement les récalcitrants, notamment les anti-masques.  

«La pandémie a provoqué une grande crise sanitaire où presque un million de personnes sont déjà mortes ; ces derniers sont incapables de sortir de leur petit monde d’intérêts », a-t-il déclaré dans son nouveau livre Un temps pour changer, publié le lundi 23 novembre dernier. Il s’agit d’un recueil d’entretien, fruit de conversations avec le journaliste britannique Austen Ivereigh

YANN NOPIEYIE

Comment les fidèles vivent leur foi pendant la pandémie ?

La solution la plus populaire pour les fidèles reste l’orientation vers la technologie pour tenter de maintenir le lien initial et pour vivre leur foi en communauté. Ils sont appelés à faire usage de créativité pour animer ces activités en ligne : pour certains, le culte du dimanche matin sera virtuel. Plusieurs églises proposent même de faire des activités sportives en ligne via la plateforme zoom. D’autres décident plutôt de rejoindre des groupes de discussion sur zoom centrés sur le stress ou les angoisses par rapport à la pandémie. 

Chez les musulmans par exemple, à l’issue de la fermeture de plusieurs mosquées, certains ont privilégié le vivre ensemble à la maison avec les membres de la famille. Ashraf Bensaïd, étudiant algérien de 21 ans en sciences humaines au Collège de Maisonneuve, vit avec sa mère et sa sœur. « Depuis l’annonce du confinement, je ne vais plus à la mosquée. À chaque fois que l’heure de la prière sonne, je prie avec ma mère et ma sœur. On vit le moment religieux entre nous en communauté réduite », explique-t-il. Comme pour les églises, les prières et les sermons peuvent être diffusés en ligne pour les fidèles musulmans. Selon Statistique Canada, 90 % des quelque 300 000 musulmans du Québec habitent la grande région de Montréal.

«Chacun sa stratégie. Pour certains, c’est le moment de mettre l’aspect spirituel de l’avant ; pour d’autres, il s’agit plutôt d’aider les plus démunis à travers du bénévolat ou de l’assistance aux personnes dans le besoin », déclare Roxanne Marcotte, spécialiste en philosophie islamique et en études islamiques à l’UQAM (entrevue par courriel, le 8 décembre 2020). 

YANN NOPIEYIE

Quels sont les désavantages de la technologie pour vivre sa foi ?

L’accès à la technologie apparaît comme une bonne alternative pour continuer à faire la prière dans le respect des règles sanitaires. Dejan précise que ce n’est pas non plus la solution idéale pour plusieurs raisons.

« Ce qui est très difficile dans plusieurs traditions religieuses et ce qui donne du sens aux gens c’est le fait de se retrouver avec plusieurs personnes. Être dans le lieu de culte le dimanche matin avec tout le monde dans l’effervescence et être tout seul devant son ordinateur, ça n’a pas la même force. ¨Ça change complètement l’expérience religieuse », communique-t-il (entrevue téléphonique, le 9 décembre 2020). 

Les responsables d’églises et de fédérations évangéliques avancent qu’il y a un fossé générationnel concernant l’utilisation de la technologie pour exercer des activités religieuses. Pour les jeunes, le fait de passer entièrement au numérique ne constitue pas un enjeu car ils l’utilisent déjà pas mal. En revanche, pour les plus vieux, suivre une messe sur zoom ou sur un Facebook live, ce n’est pas quelque chose qui se fait naturellement. Les jeunes ont simplement accentué une tendance qui était déjà présente. 

Il ne faut pas oublier de mentionner les gens qui habitent dans des régions et des espaces peu densément peuplés, et qui ont un accès inégal à la technologie. Ces individus vivent dans des territoires isolés et ils n’ont pas forcément les ressources nécessaires pour vivre leur foi en ligne. 

YANN NOPIEYIE

Comment fonctionnent les lieux de cultes qui sont toujours ouverts ?

Comme pour les commerces, les lieux de cultes qui restent ouverts font face à des mesures sanitaires strictes pour freiner la propagation du coronavirus : le port du masque et le lavage des mains sont obligatoires et les déplacements sont régulés pour maintenir la distanciation physique. Certaines églises n’hésitent pas à repenser la disposition de leurs locaux pour garantir une certaine forme de sécurité. De plus, une limite de 30 personnes leur a été imposée. Cette limite est appliquée aussi dans les mosquées, les temples sikhs et les synagogues. 

De nombreux prêtres estiment que dans l’ensemble, les églises qui sont restées ouvertes se sont très bien adaptées à cette nouvelle réalité. Pour eux, il le fallait, car même si l’on peut exercer sa foi à la maison ou sur les plateformes en ligne, l’église reste le lieu privilégié pour rester proche de Dieu. Rappelons qu’en 2016, selon les chiffres d’un article du journal La Presse, 8 % des catholiques québécois vont à la messe au moins une fois par semaine, 16 % au moins une fois par mois et 33 % vont à la messe de Noël. Dans le reste du Canada, 22 % vont à la messe toutes les semaines et 64 % le 24 décembre.

Selon les données du ministère de la Santé, entre le 23 août et le 26 octobre dernier, on dénombre 10 éclosions pour activités religieuses ou rites de passage ayant généré 63 cas de personnes infectées à la COVID-19 au Québec. Les éclosions dans ces milieux sont surtout situées dans la région de Montréal. D’autres éclosions ont eu lieu dans des lieux de cultes en Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario. 

Plusieurs spécialistes estiment que même avec l’arrivée d’un vaccin, il faudra attendre au moins un an à partir du mois de janvier pour que les mesures sanitaires imposées dans les lieux de cultes soient assouplies. 

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