1. Qu’est-ce que la restauration d’œuvres d’art ?

Sculptures, vitraux, tableaux, dessins sur papier : toute œuvre finit un jour par se détériorer et perdre de son éclat originel. Pour contrer cette dégradation, les restaurateurs québécois travaillent avec minutie pour redonner à l’art son aspect d’antan. Le travail de restauration reste pourtant méconnu, puisqu’il s’organise souvent en amont des expositions. Ces dernières sont préparées, en général, de deux à trois ans à l’avance, explique Yves Bergeron, professeur en muséologie à l’UQAM. (Entrevue téléphonique, 16 septembre 2019)

Si les tâches à réaliser sont différentes pour chaque œuvre, le processus reste le même. Une fois qu’une pièce a été choisie pour être restaurée, elle passe nécessairement par deux étapes : l’étude et le traitement. En premier lieu, l’étude permet de « faire un portrait général de l’objet » raconte Marie-Chantale Poisson, restauratrice au Musée d’art contemporain de Montréal. (Entrevue téléphonique 17 septembre 2019) Le traitement permet ensuite de restaurer les parties abîmées de l’œuvre. Cette étape comprend la tâche importante de documenter, dans le dossier de l’œuvre, tous les traitements appliqués. « C’est comme un dossier médical, c’est la même approche », observe Marie-Chantale Poisson.

photographe3.jpg Centre de conservation du Québec

2. Qu’est-ce qui dégrade les œuvres d’art ?

Que ce soit le vandalisme, les hivers rigoureux ou même les accidents, les causes de dégradation sont nombreuses, mais les spécialistes s’accordent pour dire que le transport et la manipulation restent des moments cruciaux. « Chaque fois qu’une œuvre voyage, c’est souvent là que les accidents arrivent », explique Marie-Chantale Poisson qui pratique depuis environ 20 ans. En effet, le reste du temps, les œuvres restent conservées dans des salles dont l’humidité et la température sont réglées au quart de tour, raconte l’enseignant Yves Bergeron.

Marie-Chantale Poisson illustre aussi que certaines œuvres se fondent dans le décor. « Dans toutes les stations de métro, il y a des œuvres d’art, mais elles sont tellement bien intégrées qu’elles passent inaperçues. » Résultat : les gens font moins attention et finissent par abîmer la pièce en l’égratignant ou en dessinant dessus.

Pour les œuvres d’art extérieures, la détérioration est d’autant plus rapide à cause des variations du climat particulièrement rude. « On ne le soupçonne pas, mais en milieu urbain, le vent et la poussière sont comme un sablage constant sur les œuvres », mentionne la restauratrice d’oeuvres d’art Laurence Gagné, qui a fondé avec son associé sa compagnie spécialisée en patrimoine, sculptures, monuments et art public. (Entrevue téléphonique 17 septembre)

Des situations extrêmes, comme l’incendie de Notre-Dame à Paris le 15 avril dernier, peuvent aussi donner un coup dur aux œuvres. Dans ce cas, le pire a été évité et plusieurs pièces ont été sauvées, mais certaines doivent désormais être restaurées. C’est le cas d’un tapis tissé au début du XIXe siècle, exposé du 20 au 22 septembre dans le cadre des Journées européennes du patrimoine. L’objet avait été imbibé d’eau au moment d’éteindre le feu de la cathédrale causant des auréoles d’humidité et des taches.

art_berri-uqam_vermette.jpg STM

3. Combien de temps nécessite une restauration ?

Pouvant aller de 10 minutes à des milliers d’heures, le temps de restauration varie selon les dégâts à réparer. Parfois, la seule tâche à réaliser est de retirer un vernis tandis que les restaurateurs doivent parfois retendre les toiles et les installer sur de nouveaux châssis, explique Marie-Chantale Poisson. Dans certains cas extrêmes, ce n’est que 30 % de l’œuvre originale qui subsiste alors que le reste a été restauré. Le visiteur, lui, n’y voit que du feu.

Les délais de restauration peuvent aussi dépendre des contraintes qui entourent un projet. L’hiver dernier, Laurence Gagné a réalisé un des défis les plus importants de sa carrière lors de la restauration d’Hommage aux fondateurs de la ville de Montréal à la station Berri-UQAM. « On a fait un travail de restauration qui a duré trois mois, car c’était un travail de nuit. On était contraint aux horaires de la station et on ne pouvait travailler qu’entre 2 h et 4 h 30 du matin », explique-t-elle.

VM94-M262-012_142.jpg Archives de la STM

4. Qui restaure nos œuvres d’art au Québec ?

Même si le métier de restaurateur d’art est peu connu du public, il existe au moins une centaine de spécialistes au Québec, principalement installés dans les grandes villes comme Montréal et Québec. La formation qu’ils ont suivie avant la maîtrise est fastidieuse : cours de chimie, stage dans le milieu, baccalauréat dans un domaine connexe sont des préalables. N’entre pas qui veut à Queen’s University à Kingston en Ontario, la seule université à offrir la maîtrise dans ce domaine au Canada. L’Université, qui n’accepte qu’une dizaine de personnes par année, forme les étudiants en restauration de papier, d’objets ou de peinture.

Regroupés, pour la plupart, autour de l’Association canadienne des restaurateurs professionnels, les restaurateurs se distinguent des artisans. « Au début, on a créé l’Association parce qu’il y avait, et il y en a toujours, des restaurateurs qui sont plutôt des artisans et qui n’ont pas nécessairement la formation technique et scientifique pour préserver les œuvres », mentionne Fiona Graham, président de l’Association canadienne des restaurateurs professionnels. (Entrevue téléphonique 18 septembre) Ces spécialistes agréés doivent suivre le code de déontologie qui guide leur pratique, et dont le leitmotiv est d’appliquer des restaurations réversibles.

Cette reconnaissance de l’Association permet aux professionnels d’être engagés soit dans les équipes de restauration des grands musées comme le Musée national des beaux-arts du Québec ou même d’obtenir des clients pour démarrer une entreprise privée. Le Centre de conservation du Québec (CCQ), qui fête cette année ses 40 ans et qui a pour mission de contribuer « à la restauration du patrimoine du Québec », en engage également un bon nombre. Branche du ministère de la Culture, le CCQ offre son expertise aux musées institutionnels en leur offrant une banque d’heures à utiliser « gratuitement »

outils-oeuvres-art.jpg Musée des beaux-arts du Canada

5. Comment la pratique a-t-elle changé depuis les dernières années ?

L’arrivée de nouvelles technologies a complètement bouleversé la pratique. « Je sais que l’impression 3D, pour les restaurateurs en musée, c’est vraiment une belle évolution, mentionne Laurence Gagné. Ils peuvent scanner l’objet à restaurer, et avec certains logiciels, ils peuvent recréer en 3D la partie manquante. »

Ayant le devoir de conserver des preuves de leur travail, les restaurateurs doivent documenter grâce à des images toutes leurs pratiques. La photographie numérique a donc permis d’accélérer le processus. « C’est beaucoup plus rapide et on peut documenter beaucoup plus », croit Marie-Chantale Poisson. Même les téléphones sont rendus assez puissants pour obtenir des photographies de qualité.

Bien que la technologie soit un facteur majeur de changement, les nouvelles prises de conscience sociale font également évoluer l’éthique de la restauration. Fiona Graham pense notamment que depuis la publication en 2015 du rapport sur la Commission de vérité et de réconciliation du Canada, les restaurateurs voient d’un œil plus attentif l’art autochtone au Canada. Selon Fiona, les restaurateurs doivent « non seulement faire attention au matériel, mais encore plus à l’histoire, à la valeur et à l’importance » de l’œuvre en faisant une recherche précise et approfondie.

A-15-7-I_IN006-1024x692-5-1024x540.jpg Musée d’art contemporain de Montréal

6. Quelles sont les difficultés de restauration quand la technologie s’immisce dans l’art ?

La technologie a aussi modifié le monde de l’art en général, puisque les artistes ont commencé à créer des œuvres l’incluant. Parfois, les œuvres sont même complètement à l’intérieur d’ordinateurs. « La préservation de l’art médiatique à caractère temporel et les collections numériques est un défi pour les restaurateurs, car le matériel et la fabrication ainsi que le fonctionnement de ces œuvres sont complètement différents des formes traditionnelles », explique Fiona Graham.

Ce type de restauration n’étant pas dans le cursus scolaire, les restaurateurs doivent aller chercher de la formation et des conseils ailleurs, explique Marie-Chantale Poisson. C’est ce qu’elle a dû faire puisque le MAC possède une série d’œuvres « de nature électrique et électronique ». Pour ce type d’art, la restauratrice prend le temps de discuter avec l’artiste pour établir comment l’œuvre doit traverser le temps ou quelles sont les composantes électriques à changer.

Sources : 

https://www.ccq.gouv.qc.ca/
https://capc-acrp.ca/fr/
https://archivesdemontreal.ica-atom.org/devoilement-dun-vitrail-dart-en-hommage-aux-fondateurs-de-montreal-offert-par-les-caisses-populaires-desjardins-la-station-berri-de-montigny-25-fevrier-1969
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1050061/derriere-les-portes-closes-des-restaurateurs-doeuvres-dart
http://www.stm.info/fr/a-propos/decouvrez-la-STM-et-son-histoire/lart-dans-le-metro/liste-des-oeuvres/berri-uqam-pierre
https://www.rcaanc-cirnac.gc.ca/fra/1450124405592/1529106060525
https://www.queensu.ca/art/art-conservation/prospective-students
https://www.journaldemontreal.com/2019/09/13/limmense-tapis-de-notre-dame-de-paris-sauve-des-eaux

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