Pourquoi le mouvement des écoliers en jupes est-il né maintenant? 

Depuis les premiers jours du mois d’octobre, des garçons provenant d’écoles secondaires aux quatre coins de la province portent la jupe pour dénoncer les politiques sexistes et hypersexualisantes des écoles concernant les uniformes ainsi que les violences à caractère sexuel. C’est le cas de Justin*(entretien téléphonique, 20 octobre 2020), 16 ans, qui fréquente l’école secondaire des Sentiers, à Charlesbourg, en banlieue de lQuébec. « Ma jupe était excessivement courte, mais ils ont juste pris les filles à part pour mesurer leurs jupes et leurs robes. On a vu l’injustice que les filles vivent par rapport au code vestimentaire depuis le début de notre secondaire», regrette-t-il.

C’est loin d’être la première fois qu’un tel mouvement se trame dans les écoles selon le chercheur et enseignant au département de science politique et à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Francis Dupuis-Déri (entretien téléphonique, 19 octobre 2020). « La question des uniformes, y compris dans une perspective antisexiste, c’est un des enjeux de luttes principal dans les écoles secondaires depuis le début de l’école », constate-t-il, ayant recensé de tels événements dès les années 1940. Selon le chercheur, la plus récente vague de dénonciations du mouvement Me Too pourrait avoir influencé cette démonstration de solidarité. Le mouvement Me Too, lancé en 2007 par la militante américaine Tarana Burke, se déploie depuis pour donner une voix aux victimes de violences à caractère sexuel.

École Internationale Lucille-Teasdale

Est-ce que le mouvement a pris de l’ampleur parce que des hommes en sont les porte-étendards?

La professeure de perspectives féministes intersectionnelles et de sociologie du genre et des sexualités à l’UQAM Stéphanie Pache (entretien téléphonique,16 octobre 2020) affirme à regret que la présence d’hommes dans cette affaire explique une partie de l’engouement qu’elle a suscité dans l’espace public. « Tous les moyens ne sont pas bons, mais on peut s’entendre sur le fait que si on a des alliés dans notre cause, c’est bien mieux que d’avoir des ennemis », convient-elle. 

Catherine et Juliette* (entretien téléphonique, 20 octobre 2020), également étudiantes à l’école secondaire des Sentiers, sont contrariées par l’ampleur que prend cette initiative masculine. « C’est fâchant que ça ait encore pris des garçons pour que le mouvement soit pris au sérieux. Je ne pense pas que le mouvement aurait été aussi médiatisé s’il avait été mené par des filles seulement », se plaint Catherine.

Elles sont frustrées que les garçons reçoivent toute l’attention médiatique puisqu’elles croient que certains d’entre eux ne sont pas tout à fait au courant pourquoi ils posent ces gestes.

École secondaire des Sentiers, site web de l’établissement


Est-ce que l’effet de groupe enlève de la crédibilité au mouvement?

Selon Juliette, si certains garçons ont embarqué grâce à l’effet de groupe, plusieurs étaient conscients de la cause avant même de porter action. « Vu qu’on en a tellement parlé, certains ont compris pourquoi on fait ça.»

Il est probable que certains de ces justiciers en jupes agissent dans le but de s’attirer des compliments, ceux-ci ayant provoqué un grand engouement dans les médias et sur les réseaux sociaux, selon Dupuis-Déri. « Le gain en capital de sympathie et de remerciements est disproportionné par rapport à ce qu’on fait », indique le chercheur. Il explique que ce phénomène est récurrent dans ce genre de mouvement. « Quand un homme blanc déclare des propos antiracistes ou prend la défense des personnes noires […]il obtiendra une popularité ou une renommée et sera félicité d’une manière vraiment disproportionnée par rapport à ses actions […]. » 

Stéphanie Pache, Dailymotion

Cette tendance peut-elle mener à un changement dans la réglementation des établissements scolaires?

Ce mouvement pourrait effectivement être un vecteur de changement, selon Stéphanie Pache. Cette dernière affirme que la tendance « confronte les écoles à devoir se justifier et à se rendre compte éventuellement qu’elles n’ont pas de bonnes raisons d’imposer des règlements concernant les codes vestimentaires ». 

Catherine et Juliette déplorent quant à elles le manque d’actions concrètes de la part de la direction. « Ils disent tout le temps qu’ils veulent notre bien et qu’ils sont à notre écoute, mais on ne se sent pas très écoutées avec ce qui se passe en ce moment  La direction n’est pas du tout ouverte à la discussion. C’est « soit tu te changes ou tu t’en vas. »» Même après que de nombreux élèves et parents aient écrit des lettres à l’établissement en appui à leur cause, les deux jeunes filles ne sentent pas une plus grande ouverture de la part de l’administration.

 

François Dupuis-Déri, Guillaume Lamy

Est-il plus profitable que certaines luttes féministes soient portées par des hommes?

Pache est catégorique, il n’est pas profitable que les luttes féministes soient portées par des hommes, mais « qu’elles soient partagées et qu’ils soient actifs dans l’action, oui». 

Francis Dupuis-Déri est d’avis que les hommes peuvent être utiles et peuvent permettre de donner une certaine force au mouvement. « Ça peut déstabiliser les directions d’école, ça peut rendre visible, en attirant l’attention du public, ces problématiques-là.» 

Les deux experts s’entendent que la prise de parole des hommes au sein de luttes féministes est nuisible « dans la mesure où ce sont les garçons qui deviennent les principaux porte-paroles, qui deviennent les héros qui invisibilisent les femmes », renchérit Dupuis-Déri. 

RT France

Pourquoi est-ce qu’on écoute moins les femmes que les hommes dans cette revendication?

Les garçons ont pu se faire entendre et susciter l’attention grâce au caractère surprenant de leur prise d’action, explique Dupuis-Déri. « Les surveillants et les directions d’écoles voient bien que les garçons sont en train de faire une déclaration politique parce qu’ils ne sont pas censés porter la jupe, ce n’est pas prévu. Ce n’est donc pas la même chose que quand les filles portent des jupes trop courtes et qu’elles sont renvoyées.» 

Ce problème de surdité envers les revendications des femmes et jeunes filles découle de la façon dont sont construits les groupes de sexes dans notre société, selon Pache. « On a jeté le dévolu de l’action publique aux hommes et celui de l’action privée aux femmes. Donc, les prises de parole sont plus légitimées et écoutées lorsqu’elles sont le fait d’hommes que quand elles sont le fait de femmes », conclut l’enseignante.

*Les noms des étudiants et étudiantes ont été changés pour préserver leur anonymat, ceux-ci craignant des représailles de la part de la direction de leur établissement. 

Sources

https://www.lapresse.ca/societe/2020-10-08/des-garcons-en-jupe-pour-appuyer-les-filles.php

https://www.ledevoir.com/societe/587954/code-vestimentaire-des-filles-jugent-les-directions-d-ecole-bien-culottees