Dans quel but Danielle McCann veut abolir les temps supplémentaires obligatoires ?

Pour valoriser un meilleur système de santé,  malgré la pénurie d’infirmières et «redonner une qualité de vie aux infirmières», affirme la ministre de la Santé, Danielle McCann, lors d’une allocution le 6 novembre 2018. Cette décision est appuyée par Québec Solidaire qui réclame une loi contre les surchages de travail dans le réseau de la santé. Les infirmières exténuées sont plus enclines à faire des erreurs si elles travaillent pendant deux quarts consécutifs. Toutefois, selon le code de déontologie de l’OIIQ (Ordre des infirmiers et infirmières du Québec), «Il est important de rappeler que l’infirmière est la seule personne qui peut évaluer sa capacité à exercer […]». Le refus de faire un temps supplémentaire obligatoire (TSO) est possible, mais les employeurs exercent beaucoup de pression pour empêcher les refus. De plus, pour les infirmières auxiliaires, une équipe de remplacement doit être absolument trouvée pour permettre le départ. «C’est un fléau au Québec, travailler 16 heures, c’est dur sur le corps », déclare Marilou Brisebois infirmière au Centre hospitalier Pierre-Legardeur (CHPLG) (entrevue 4 décembre 2018). 

infirmiere2.jpg Gabryel Desaulniers

Pourquoi il y a une pénurie d’infirmières ?

Selon le nouveau président de l’OIIQ, Luc Mathieu, la pénurie d’infirmières serait «artificielle», puisque trop d’entre elles n’auraient qu’un diplôme collégial. Ce dernier affirme que les employeurs cherchent plus d’infirmières avec un diplôme universitaire. Depuis sept ans, plus de 3000 permis de profession sont émis chaque année, cela fait donc 21000 nouvelles infirmières. Toutefois, selon le rapport 2017-2018 de l’OIIQ, le nombre d’infirmières qui quittent la profession est presque aussi élevé que celles qui y entrent. Le nombre de sorties a même dépassé le nombre d’entrées durant ces années. «Plusieurs infirmières travaillent à temps partiel, parce qu’elles sont aux études pour avoir leur bac ou parce qu’elles sont trop stressées du métier» souligne Mariloiu Brisebois.  De plus, la relève peut avoir peur, toutefois, puisque l’image publique de ce métier est écornée. « On a atteint un point de non-retour, notamment sur la charge de travail et les heures supplémentaires obligatoires. Ça s’en va dans le mur. Il faut que l’ensemble des décideurs choisisse d’améliorer les conditions de travail pour espérer assurer la relève, ça passe par là », affirme la présidente de la Fédération des infirmières du Québec, Nancy Bédard.

infirmiere1.jpg Gabryel Desaulniers

Pourquoi les infirmières sont soumises à des TSO ?

À cause de la pénurie, certes, mais aussi à cause d’un ratio patients-infirmière trop élevé.  «Les patients ont besoin de soins 24 heures sur 24, on ne ferme pas à Noël» déclare Marilou Brisebois. Ces temps supplémentaires obligatoires ne devraient exister qu’en mesure exceptionnelle, même si cela semble être très répandu. Les employeurs ne font pas les choix nécessaires pour palier ce problème. Il n’y a pas assez d’infirmières à temps complet, «les temps partiels leur coûtent moins cher, c’est pourquoi il y en a plus», dit l’infirmière du CHPLG. Les TSO sont aussi causés par un principe de cercle vicieux de pénurie de main d’oeuvre. «On est dans une spirale négative. Le travail dans le réseau est moins attractif parce qu’il y a des surcharges, et il y a des surcharges parce que le travail est moins attractif » soutient le député de Jean-Lesage et porte-parole de Québec Solidaire en matière de santé, Sol Zanetti. De plus, Le ratio patients-infirmière est élevé parce qu’il manque de personnel. 

infirmiere 4.jpg Flickr

Peut-on mettre le doigt sur le bobo ?

Oui et non, puisque les lacunes sont nombreuses. Les infirmières vivent une crise à cause de plusieurs facteurs. Selon Marilou Brisebois, il y a «quatre problèmes de taille». La relève moins élevée en est un, par exemple, au Cégep de La Pocatière, la cohorte en soins infirmiers de 2014 comptait seulement quatre étudiants. Les jeunes ne sont plus attirés vers ce travail. Le nombre de retraites et de démissions augmente de plus en plus. Le départ des baby-boomers fait mal au système et un manque de personnel se fait sentir. De plus, plusieurs infirmières démissionnent du métier parce que c’est trop exigant et pas assez payé. Les arrêts de travail causés par un épuisement professionel sont fréquents. «On se fait tellement pousser à bout c’est normal que certaines tombent», lance Marilou Brisebois. Le vieillissement de la population engorge des hôpitaux. Les personnes âgées nécessitent plus de soins et la population globale du Québec vieillit.  «Il y est donc difficile de cerner le problème, puisque c’est beaucoup plus général», ajoute Marilou Brisebois.

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Existent-ils des solutions ?

Plusieurs solutions ont été mises sur table. L’une d’entre elle est d’offrir aux professionnelles de la santé des quarts de travail de 12 heures. Cette alternative est déjà implantée, entre autres, au Centre universitaire de santé McGill et à l’Institut de cardiologie de Montréal. En ayant des quarts de travail de 12 heures, cela prend seulement deux infirmières pour remplir une journée au lieu de trois, ce qui éliminerait des possibilités de TSO. De plus, cela permet de travailler moins de journées dans une semaine, ce qui offre une meilleure qualité de vie. «Il faudrait diminuer le ratio patients-infirmière, engager des temps complets et malgré le fait qu’on n’exerce pas ce métier pour la paie, ils pourraient augmenter notre salaire»,  renchérit Marilou Brisebois. Selon Québec Solidaire, il faudrait baliser les conditions de travail de tout le monde dans le système de santé, pas seulement les infirmières et beaucoup d’argent devra être dépensé.  Une autre solution, celle-ci prise par le Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM), est de recruter près de 500 des infirmières en France. Leur formation à l’école est similaire à celle du Québec et elles n’ont besoin qu’une orientation de 75 jours rendues au CHUM. 

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Comment sont les systèmes de santé à l’étranger ?

Plusieurs pays étrangers ont un système de santé très différent du Québéc.  À Cuba, par exemple, les médecins et infirmières sont très qualifiés. La santé préventive est mise de l’avant et cela désengorge les urgences. Les infirmières en ont donc beaucoup moins sur les épaules. Ce pays en développement se penche sur la santé primaire des patients. Toutefois, plus près de nous, aux États-Unis, les infirmières vivent le même sort que celles du Québec malgré leur système de santé non gratuit. La gratuité du réseau de santé ne change rien aux conditions des infirmières. De plus, plusieurs infirmières québécoises déménagent en Suisse pour exercer leur métier. Meilleur salaire, moins de temps supplémentaires obligatoires et moins de pression, voilà les conditions de travail des Suisses. Un bon point est que l’horaire n’est pas établi selon l’ancienneté, c’est un système de rotation qui permet à tout le monde de faire les trois quarts de travail. Les Québécois habitant à Hull ou dans la région de Gatineau préfèrent aller se faire soigner en Ontario. Les hôpitaux sont moins engorgés en Ontario. Les naissances sont plus nombreuses au Québec et les fumeurs aussi. Tant chez les hommes que les femmes, les taux de fumeurs entre 2003 et 2015 dépasse les 20 %, tandis qu’en Ontario cela tourne autour de 15 %.  

Sources :

Le Journal de Montréal, Pénurie d’aspirantes infirmières, 1er mai 2018.

Le Journal de Québec, Système de santé québécois : un cancre par rapport à l’Ontario, 16 mars 2017.

Le Soleil, QS réclame un loi  contre les surcharges de travail dans le réseau de la santé, 13 novembre 2018.

Le Soleil, Infirmières : le temps supplémentaire pas obligatoire, rappelle l’Ordre, 14 août 2018.

Radio-Canada, La détresse au travail des infirmières «doit cesser», dit la ministre McCann, 6 novembre 2018.

Radio-Canada, Des quarts de trravail de 12 heures pour les infirmières, une solution? , 7 février 2018.

Radio-Canada, Pénurie d’infirmières : des hôpitaux du Québec retournent recruter en France, 1er mai 2018.

Radio-Canada, Quand des infirmières québécoises vont travailler en Suisse, 11 février 2018.

Viva Salud, Cuba : les avantages d’un système public de soins de santé, 19 septembre 2018.

Ordre des infimiers et infirmières du Québec : https://www.oiiq.org/tso-rappel?fbclid=IwAR27ZHId5oHl0HxUrhVi0yAoyGvIe07W1e44JkcUeSFMEKN-b104tf7GQuY

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