D’où provient la pénurie de main-d’oeuvre au Québec ?
Entre 1981 et 2010, 5,1% des Québécois âgés de 15 et 44 ans quittaient le Québec, alors qu’en Ontario, ce même groupe d’âge était en hausse de 26,1%, selon un rapport de l’Institut économique de Montréal. Le rapport souligne que «seulement 18,5 % des emplois à temps plein créés au Canada depuis 35 ans l’ont été au Québec».
Le secteur le plus fortement touché par cette pénurie est celui des services, « c’est un secteur où les salariés font, en moyenne, 13 dollars de l’heure», explique le chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), Bertrand Schepper (entrevue téléphonique réalisée le 19 septembre 2018). «Chez les plus jeunes, il peut y avoir un choix économique de dire : ça ne vaut pas la peine que je travaille beaucoup», croit-il, même chose pour les travailleurs à l’aube de la retraite, qui choisiront eux de partir plus tôt.
Michaël Laforest
Quels sont les régions et les secteurs économiques les plus touchés par la pénurie ?
Montréal accueille en grande majorité les immigrants, mais ce sont les régions qui requièrent de plus en plus de main-d’œuvre, ce qui met en danger plusieurs industries québécoises. Qui plus est, cette problématique se retrouve même dans la capitale nationale. Le maire de Québec, Régis Labeaume, interpelle depuis plusieurs années le gouvernement afin que plus d’immigrants francophones s’installent dans la municipalité. Entre 2012 et 2017, seulement 6,2 % des nouveaux arrivants y ont déménagé. Le maire souhaite faire augmenter cette proportion à 10 %. La région de Chaudière-Appalaches a vu ses postes vacants augmentés de 1,6 % à 3,3 % en un an.
Parallèlement, le manque de main-d’œuvre est significatif dans plusieurs secteurs économiques du Québec. Que ce soit le secteur des transports, des services administratifs ou bien de la transformation, celui où les postes vacants sont les plus médiatisés et apparent au sein de la société québécoise est sans nul doute celui du système de santé. «La pyramide démographique actuelle a un effet considérable sur ce manque», précise Bertrand Schepper. Le vieillissement de la population le et départ progressif d’employés vers la retraite va amener une demande vers la hausse dans les prochaines années, voire les prochaines décennies. Selon Statistique Canada, depuis 2011, les personnes âgées de 65 ans ou plus sont plus nombreuses que les personnes de 0 à 14 ans au Québec et cette tendance s’amplifie à chaque année.
Michaël Laforest
Pourquoi l’immigration divise tant ?
L’apport économique de l’immigration comme solution à la pénurie de main-d’œuvre est indéniable à l’Assemblée nationale. En théorie, l’immigration comme solution pour pourvoir les postes vacants au Québec devrait être strictement d’ordre économique. Néanmoins, la politisation de cet enjeu est, la plupart du temps, présentée sous le spectre identitaire, ce qui a amené une division dans l’opinion publique québécoise. Les partis politiques qui y siègent ont une vision distincte et une manière d’aborder cet enjeu qui divise les Québécois.
Sans toutefois étaler les différentes mesures des différents partis politiques, qui varient au gré de l’opinion publique et à la mouvance du vote, certaines pierres d’assises se répètent dans les plateformes électorales. La Coalition Avenir Québec, en l’occurrence, voit dans l’immigration une solution à cette pénurie, certes, mais souhaite en diminuer le nombre autorisé annuellement et cette conviction est basée sur deux principaux facteurs. Premièrement, il y aurait trop d’immigrants qui quittent la belle province vers une autre après cinq ans (26 %). Deuxièmement, le nombre d’immigrants ne parlant pas français à leur arrivée est bien trop élevé (58 %), ce qui complique leur intégration au marché du travail. Le Parti québécois, à quelques détails près, se positionne en ce sens également. En contrepartie, le Parti libéral du Québec est depuis longtemps un défenseur de l’immigration comme réponse à la pénurie de main-d’œuvre, mais le vote allophone et anglophone joue en sa faveur. Si l’immigration fait partie de la solution économique, les discours politiques déstructurent sa valeur sous d’autres aspects, qui eux n’ont rien à voir avec le manque de main-d’œuvre au Québec.
40 000 ou 50 000: un vrai débat ?
D’un point de vue strictement économique, le débat incessant sur le nombre d’immigrants qui devraient s’installer annuellement dans la province est inutile selon le chercheur de l’IRIS: « c’est absurde en terme de proportion sur une population de 8 millions d’habitants», souligne-t-il. Que ce soit 30 000 ou 50 000 immigrants, la solution au manque de main-d’œuvre grandissant au Québec ne se jouera pas sur quelques milliers. Bien que la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) estime qu’il faudrait dorénavant accueillir 60 000 nouveaux arrivants par année pour contrer ce problème, bonifier les ressources afin de les intégrer adéquatement au marché du travail est le principal bénéfice recherché par les entreprises.
Michaël Laforest
Comment mieux intégrer les immigrants ?
Il semble y avoir, au Québec, une difficulté à reconnaître certains acquis que les immigrants possèdent à leur arrivée lorsqu’il est temps d’entrer sur le marché du travail. Selon le chercheur Bertrand Schepper « Reconnaître un peu mieux les diplômes » serait un pas vers l’avant. Par ailleurs, les immigrants s’installent principalement à Montréal alors que les besoins en régions sont criants. En 2017, 76 % des nouveaux arrivants se sont établis dans la métropole.
« Il n’y a pas un accompagnement qui est aussi élevé qu’ailleurs, on a cette impression que finalement les immigrants s’installent en communauté, la plupart du temps, à Montréal», souligne Bertrand Schepper. Pour lui, le sous-financement des programmes de francisation est la cause pour laquelle les nouveaux arrivants choisissent de s’établir près de leur communauté.
Le taux de chômage des nouveaux arrivants installés au Québec depuis moins de 5 ans est de 13,8%. Une grande partie des immigrants ont du mal à trouver un emploi dans leur domaine d’expertise. «Cela m’a pris 4 ans au total pour pouvoir décrocher enfin un travail dans mon domaine comme agente de projet, mais même là, c’est un contrat de 28h par semaine», confiait Amina Watalusu au HuffingtonPost.
Michaël Laforest
Y a-t-il des alternatives à l’immigration ?
Pour Bertrand Schepper, la robotisation prochaine de certains emplois pourvoira sans doute une partie des postes aujourd’hui vacants. Pour des solutions à plus court terme, il faudrait selon lui, augmenter les salaires, rendant ainsi les postes plus attrayants, ou encore, «permettre aux personnes qui prennent leur retraite de travailler à temps partiel ou de faire quelques heures si elles le veulent».
Le marché de l’emploi aurait aussi besoin d’un coup de pouce du système d’éducation. Il faudrait le rendre «capable de diriger vers certains secteurs dont on a besoin» selon le chercheur de l’IRIS.
Sources: