Elon Musk a-t-il une vision réaliste de la colonisation martienne ?

L’entrepreneur, ingénieur et président fondateur de l’entreprise aérospatiale SpaceX, parle d’établir une base martienne et d’écogénèse selon des délais qui correspondent à la réalité des investisseurs, à l’intérieur de la prochaine décennie. « Mais, ça se mesure en centaines d’années. On parle de la transformation de la surface de la planète Mars sur une échelle entre 500 et 1000 ans. C’est de la planification à très long terme, pour une espèce qui a du mal à s’entendre sur l’horizon 2050 pour la réduction de la température à la surface de la planète », souligne Robert Lamontagne, astrophysicien et coordonnateur du Centre de recherche en astrophysique du Québec (CRAQ). Musk est aussi accaparé par sa gestion de l’entreprise Tesla et les controverses qui en découlent, mais SpaceX ne semble pas avoir été touché par ces éclats. L’entreprise américaine ouvre déjà de nouveaux horizons pour l’exploration spatiale avec ses innovations technologiques et sa feuille de route demeure remarquable.

Mars Transition.jpg Daein Ballard / Wikipédia

Qu’est-ce que l’écogenèse ?

Terraformation, écogenèse ou biosphérisation : plusieurs synonymes sont utilisés par les scientifiques et astrophysiciens. Alors que l’on utilise très souvent le terme anglais « terraformation », Robert Lamontagne, qui réalise des recherches sur la caractérisation des planètes extrasolaires qui pourraient abriter la vie, explique que la traduction française (écogenèse) « décrit exactement ce que ça veut dire, c’est la transformation d’un environnement non hostile à la vie vers un environnement plus adapté ou plus propice à la vie » (entrevue téléphonique le mardi 6 novembre). En fait, l’écogenèse, c’est le fait de modifier la surface d’une planète afin de la rendre propice à l’établissement de la vie. Et Robert Lamontagne insiste sur le fait « qu’il faut comprendre que c’est l’établissement de la vie tel que nous la connaissons, bien évidemment ». Pour le moment, les regards des scientifiques se tournent en majorité vers la planète Mars.

Mars et Terre.jpg Nasa

Pourquoi créer de l’écogenèse sur Mars ?

Dans notre système solaire, Mars est la planète la plus prometteuse pour le développement de la vie. « Ce qui est accessible à notre technologie, ce sont uniquement des planètes de notre système solaire où l’on peut se rendre. Donc l’idée de faire de l’écogenèse ou de trouver une planète qui ressemble un peu à la Terre, c’est de déménager une partie de la population, d’établir des colonies, ça va commencer par là. Sur un horizon de centaines d’années, c’est le système solaire », affirme Robert Lamontagne. Hors de notre système solaire, des planètes semblables à la terre existent très probablement, mais, avec nos moyens de transport spatiaux actuels, on parle de centaines, voire des milliers d’années pour les atteindre. Avec l’arrivée du télescope spatial James-Webb, prévue pour mars 2021, il sera possible de mieux évaluer l’habitabilité de certains de ces mondes, mais, dans notre système, Mars reste la seule candidate. « C’est pour ça qu’on parle de modifier la surface de la planète Mars pour être plus propice au maintien de la vie, explique l’astrophysicien. Maintenant, pour faire ça, on a une idée de ce que ça prend, mais les coûts sont astronomiques ».

40126461411_b1ed283d45_o.jpg SpaceX

Peut-on « terraformer » Mars ?

La question se pose toujours et les avis divergent. Pour Elon Musk,  il suffirait de bombarder avec des charges nucléaires les pôles de Mars pour faire sortir le dioxyde de carbone. La NASA, elle, contredit totalement les théories de Musk expliquant, comme Robert Lamontagne, que les moyens technologiques actuels ne le permettent absolument pas. Pour le moment, « c’est encore de la science-fiction en terme de technologies ». Il est cependant « possible » de créer de l’écogenèse sur Mars. En fait, les « étapes pour réaliser ce processus sont connues, c’est juste une question de ressources financières et humaines ». Il continue en expliquant que ce processus est si « complexe » qu’il peine lui-même à imaginer la réalisation de ce projet. Si l’on connait les étapes pour faire de l’écogenèse, c’est parce que « nous faisons déjà de l’écogenèse, on le fait par la force du nombre parce qu’on est 7 milliards, on ne le fait pas de façon contrôlée » explique Robert Lamontagne.

Terraforming_of_Mars.jpg Wikimedia Commons

Comment fonctionne ce processus ?

Tout comme l’astrophysicien, de nombreux scientifiques mettent en doute la capacité de réaliser l’écogenèse de la planète rouge en raison de la quantité insuffisante de dioxyde de carbone qui pourrait être produit même avec une fonte rapide de la calotte polaire. En fait, c’est en faisant fondre « les calottes polaires qui sont majoritairement composées de dioxyde de carbone, qu’on pourrait augmenter la teneur en dioxyde de carbone de l’atmosphère, on n’atteindrait pas forcément les niveaux de la Terre, mais quelque chose qui s’apparente un peu aux sommets des hautes montagnes », explique Robert Lamontagne. C’est donc en augmentant la teneur de dioxyde de carbone qu’on peut augmenter la température moyenne de la surface de Mars. S’il y a de l’eau sur Mars, elle pourrait devenir liquide. Grâce à cette eau liquide, « on peut ensemencer ça avec des micro-organismes qui font de la photosynthèse, comme nos bactéries. Et donc on transforme le dioxyde de carbone en oxygène puis, à terme, on met des plantes et des animaux », explique l’astrophysicien.

DV-21-2.jpg Martin Ouellet-Diotte

L’idée est-elle controversée ?

Plusieurs questionnements éthiques sont soulevés quant à l’écogénèse et la colonisation de la planète rouge. Premièrement, avant de penser à rendre Mars habitable, le simple fait d’envoyer des humains si loin dans l’espace est associé à un gigantesque coût initial, estimé à dix milliards de dollars par personne selon Elon Musk. La mission de l’astromobile Curiosity de la NASA a représenté à elle seule un coût total de 2,5 milliards pour l’agence spatiale américaine. Il est donc facile pour le public de se dire que cet argent serait mieux investi dans la préservation de notre planète actuelle, par exemple en luttant contre les changements climatiques ou la pauvreté. Robert Lamontagne soulève aussi un autre enjeu éthique : la possibilité qu’il y ait des micro-organismes sur Mars. « Imaginons que demain matin on découvre qu’il y a de la vie sur mars sous forme microscopique. Est-ce que l’on peut intervenir ? Transformer l’environnement martien et l’accommoder pour les humains, au risque de faire disparaître cette forme de vie indigène ? » Ces enjeux ne freinent pourtant pas les ardeurs de Musk, qui affirme vouloir utiliser le plein potentiel de SpaceX pour créer une base martienne d’ici 2028.

https://www.theguardian.com/science/2018/jan/23/trappist-1-planets-likely-life-water-earth-like
https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/astronomie-terraformation-rendre-mars-habitable-serait-impossible-instant-71713/
https://www.businessinsider.com/elon-musk-spacex-mars-plan-timeline-2018-10#2025-put-boots-on-mars-9
https://www.newscientist.com/article/2175414-terraforming-mars-might-be-impossible-due-to-a-lack-of-carbon-dioxide/
https://www.nasa.gov/
https://www.spacex.com/