Est-ce commun de voir des mythomanes en entrevue d’enquête ?

L’affaire Ugo Fredette a amené beaucoup de gens à se poser des questions sur jusqu’où un criminel peut aller dans son mensonge et surtout, quand est-ce que la justice intervient? Dans une société où le mensonge est un facteur omniprésent pour se démarquer des autres et attirer les regards, quelques rares personnes mentent constamment et cela, sans contrôle. « La mythomanie est considérée comme un trouble mental, à même titre que les troubles de la personnalité et les troubles du contrôle de l’impulsion (incapacité à se contrôler) comme la pyromanie et la kleptomanie » explique Mathieu Brière*, professeur et criminologue, spécialiste dans le mensonge (lors d’un échange par courriel, 1er octobre 2019). Aidant la police lors d’entrevues d’enquête, il fait partie des rares personnes ayant eu affaire à des mythomanes en salles d’interrogatoire. Lynne Bibeau, psychologue en enquête judiciaire à la Sureté du Québec explique qu’il est très rare de voir des mythomanes en entrevues et qu’il faut savoir rester calme avec eux. « C’est des cas rares, mais lorsqu’on interroge un mythomane, il ne va pas céder facilement. » (entrevue téléphonique le 28 septembre 2019).

*Nom fictif, car il préfère rester anonyme pour cet article

Capture d’écran 2019-10-03 à 09.52.54.png Marie-Provence St-Yves

Quelle est la différence entre un mythomane et un menteur ?

Les psychiatres décrivent la mythomanie comme une réelle compulsion de mentir. Les gens souffrant de ce trouble mental racontent des mensonges répétitifs qui dépassent nettement les mensonges ordinaires. Un menteur va très souvent mentir pour justifier une action ou éviter de faire mal, mais les mythomanes le font majoritairement pour aucune raison valable. « Il faut vraiment regarder l’ensemble pour faire la différence entre un simple menteur et un mythomane. Des fois, les mensonges des mythomanes sont plus ou moins conscients, car cela fait tellement partie de leur vie de se conter des histoires que la ligne est mince », mentionne Lynne Bibeau. Mathieu Brière ajoute que le mythomane ment sur n’importe quoi, sans nécessité, et il ne peut s’en empêcher. Tandis que le menteur normal ment habituellement pour éviter une conséquence ou pour se valoriser.

Capture d’écran 2019-10-03 à 10.13.42.png Matt Dougherty

Comment un enquêteur sait qu’il fait face à un mythomane ?

En 2017, l’histoire de Barbara Bienvenue a choqué les Québécois. Cette femme avait fait croire à deux reprises à son conjoint qu’elle était enceinte de lui. Elle avait en plus menti à ses proches disant qu’elle était infirmière avant de changer de nom. Ses mensonges assez importants se sont accumulés au fil du temps contre elle. « On réaliserait avant d’aller en interrogatoire si on est face à un mythomane, avec tout l’historique de cet individu », explique la psychologue en enquête judiciaire, Lynne Bibeau. D’après son expérience elle mentionne que souvent, les mythomanes ont un historique de fausses allégations, de faux appels à la police pour agressions. Elle ajoute que parfois même, cet historique est dans la famille de la personne souffrant de mythomanie. Ses proches ont tendance à dire que l’individu se raconte des histoires. Quelques rares fois, la famille va croire aux mensonges, mais les enquêteurs décèlent rapidement les invraisemblances dans les histoires racontées. Un portrait de la personne concernée est donc dressé bien avant l’interrogatoire. Il n’y a pas vraiment de profil type qui prédispose certaines personnes à être mythomanes, mais Mathieu Brière, professeur et criminologue spécialisé dans le mensonge, ajoute : « On remarque que ce sont des personnes intelligentes (moyenne ou plus), et qui ont peut-être un manque d’estime d’elles-mêmes ».

Capture d’écran 2019-10-03 à 10.34.20.png GreiBO

Comment les enquêteurs piègent-ils les mythomanes en interrogatoire ?

Il est très difficile de faire admettre la vérité à la personne mythomane. Lorsqu’elle est coincée, elle remplace son mensonge par un autre mensonge. « Il vaut mieux démontrer les inconsistances et contradictions pour montrer qu’ils [les mythomanes] mentent et cachent quelque chose », élabore Mathieu Brière. En confrontant doucement un individu mythomane en interrogatoire, au niveau de ses invraisemblances et de ses contradictions, il finira par avouer que certaines choses ne sont jamais arrivées. Lynne Bibeau explique que les entrevues d’enquête avec des personnes mythomanes restent des cas très rares. Elle ajoute : « Des fois, ils [en parlant des mythomanes] vont avoir deux histoires différentes, avec des personnes différentes. Par exemple avec ses proches, il raconte quelque chose, et il raconte autre chose à ses collègues de travail. Ils persistent mais en arrivant à leur montrer les incohérences, mais surtout qu’on ne juge pas, que l’on comprend, ils vont fort probablement arriver à céder et à avouer. »

Capture d’écran 2019-10-03 à 09.52.37.png Disney

Certains mythomanes ont-ils des motifs pour mentir ?

Selon le site de Passeport Santé, le mythomane se crée classiquement un personnage valorisant auquel il adhère avec une détermination telle qu’il parvient à convaincre son entourage. Le mythomane tombe donc dans son propre jeu et finit par se faire croire son mensonge à lui-même. Lynne Bibeau appuie cette théorie : « Je pense que souvent, ce qu’ils vont inventer c’est plus une victimisation qu’autre chose. Ils ont toutes sortes de motifs de mentir mais généralement c’est que leur vie ne les satisfait pas. » Elle ajoute que ces mensonges compulsifs surviennent assez tôt dans leurs vies, qu’ils ne deviennent pas mythomanes tout à coup. Il y a une tendance à partir d’un jeune âge. Certains mythomanes se sont complètement inventés une autre vie, comme le criminel français Jean-Claude Romand, qui a fait croire à ses proches pendant 15 ans qu’il était médecin.

Capture d’écran 2019-10-03 à 10.50.51.png FranceInfo

Les criminels mythomanes sont-ils si rares ?

« Oui, et la mythomanie est un trouble relativement rare aussi », énonce Mathieu Brière. Lynne Bibeau confirme aussi que les mythomanes sont rarement de grands criminels. « Il y a vraiment une distinction entre un mythomane et un fraudeur, les deux peuvent être lié des fois. Parce que pour continuer ton mensonge, ça arrive que tu n’aies pas le choix de faire de la fraude », dit-elle. Bibeau donne pour exemple l’histoire de Jean-Claude Romand, qui a d’ailleurs inspiré un film. Se faisant passer pour un grand médecin, Romand, ne travaillant pas, n’avait pas le choix de ramener une source de revenus à sa famille. Il a donc dû frauder pour que son mensonge se perpétue et que son histoire reste plausible. Mathieu Brière* explique qu’un mythomane sera jugé devant la Cour comme tout autre criminel, malgré son trouble mental. Ce ne sont pas tous les mythomanes qui sont des fraudeurs. La mythomanie ne conduit pas directement à commettre des crimes. Lynne Bibeau conclut: « Ce n’est pas un délire psychologique, c’est vraiment ta personne qui ment donc les mythomanes savent qu’ils mentent. »

Sources

https://www.lapresse.ca/international/europe/201906/28/01-5231935-france-le-faux-docteur-romand-libere-apres-26-ans-de-detention.php
https://www.passeportsante.net/fr/psychologie/Fiche.aspx?doc=mythomanie
https://www.cosmopolitan.fr/,comment-reagir-face-a-un-mythomane,1959829.asp
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mythomanie
https://www.tvanouvelles.ca/2017/03/09/encore-une-fausse-grossesse-pour-la-femme-aux-quintuples

Entrevue téléphonique avec Lynne Bibeau, psychologue en enquête judiciaire à la Sureté du Québec, le 28 septembre 2019

Échange de courriels avec Mathieu Brière, professeur et criminologue spécialisé dans le mensonge, le 1er octobre 2019

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